XVIII

Il faisait salement noir sur cette route, et heureusement, il n’y avait pas beaucoup de circulation. Des poids lourds, surtout, dans l’autre sens. Il ne descendait presque personne vers le Sud. J’ai vraiment donné tout ce que ça pouvait. Le moteur ronflait comme celui d’un tracteur et le thermomètre marquait cent quatre-vingt-quinze, mais je poussai quand même, et ça tenait le coup.

Je voulais juste me calmer les nerfs. Au bout d’une heure de ce fracas, ça allait mieux, alors, j’ai un peu ralenti et j’ai de nouveau entendu le grincement de la carrosserie.

La nuit était humide et froide. Ça commençait à sentir l’hiver, mais mon manteau était dans ma valise ; Seigneur, jamais je n’ai eu moins froid. Je surveillais les poteaux de signalisation, mais le chemin n’était pas compliqué. Il y avait juste, de temps à autre, une station d’essence et trois ou quatre baraques, et puis la route de nouveau. Une bête sauvage et des vergers ou des cultures, ou rien du tout.

Je pensais mettre deux heures pour les cent milles. En réalité, cela fait cent huit ou cent neuf, sans tenir compte du temps perdu à sortir de Buckton et à tourner autour du jardin en arrivant. Je fus devant chez Lou en une heure et demie ou à peine un peu plus. J’avais demandé à la Nash tout ce qu’elle pouvait rendre. Je pensai que Lou devait être prête, aussi je roulai lentement pour dépasser la porte et me rapprocher le plus possible de la maison, et je donnai trois coups de klaxon. Je n’entendis rien tout d’abord. Je ne voyais pas sa fenêtre de là où j’étais, mais je n’osais pas descendre et je ne voulais pas recommencer à corner, de peur de donner l’éveil à quelqu’un.

Je suis resté là à attendre et j’ai vu que mes mains tremblaient au moment où j’ai allumé une cigarette pour me calmer les nerfs. Je l’ai jetée deux minutes après et j’ai longtemps hésité avant de redonner trois coups de klaxon. Et puis comme j’allais descendre tout de même, j’ai deviné qu’elle arrivait et, en me retournant, je l’ai vue s’approcher de la voiture.

Elle avait un manteau clair, pas de chapeau et un gros sac à main de cuir marron qui paraissait prêt à craquer, mais aucun autre bagage. Elle est montée et s’est assise à côté de moi sans dire un mot. J’ai fermé la portière en me penchant par-dessus elle, mais je n’ai pas cherché à l’embrasser. Elle était fermée comme une porte de coffre-fort.

J’ai démarré et j’ai tourné pour rejoindre la route. Elle fixait le chemin droit devant elle. Je la regardais du coin de l’œil, mais je pensais qu’une fois hors de la ville ça irait mieux. J’ai fait encore cent milles à tout casser. On commençait à se rendre compte que le Sud était moins loin, l’air était plus sec et la nuit moins sombre. Mais j’en avais encore cinq ou six cents à avaler.

Je ne pouvais plus rester à côté de Lou sans rien dire, et son parfum avait rempli la voiture ; d’une façon, ça m’excitait terriblement, parce que je la revoyais debout dans sa chambre avec son slip déchiré et ses yeux de chat, et je soupirai assez fort pour qu’elle le remarque. Elle eut l’air de se réveiller, de redevenir vivante en quelque sorte, et je tentai de créer une atmosphère plus cordiale, parce que ça restait quand même un peu gêné.

– Pas froid ?

– Non, dit-elle.

Elle frissonna, et ça la mit encore plus de mauvaise humeur. Je pensai qu’elle faisait une espèce de scène de jalousie, mais j’avais à m’occuper de conduire et je ne pouvais pas arranger ça très vite, rien qu’avec des paroles, si elle y mettait cette mauvaise volonté-là. Je lâchai le volant d’une main et je fouillai de l’autre dans le casier de droite. J’en sortis une bouteille de whisky et je la posai sur ses genoux. Il y avait encore un gobelet de bakélite dans le casier. Je le pris et le mis à côté de la bouteille, et puis je refermai le casier et je tournai le bouton de la radio. J’aurais dû y penser plus tôt mais décidément, je me sentais mal à mon aise.

C’est cette idée que tout restait à faire qui me tourmentait comme ça. Heureusement, elle prit la bouteille et la déboucha, puis s’en versa un verre et l’avala d’un trait ; je tendis la main ; elle remplit à nouveau le verre et le vida une seconde fois. C’est seulement à ce moment qu’elle m’en versa un. Je ne me rendis pas compte de ce que je buvais et je lui donnai le verre. Elle remit le tout dans le casier, se détendit un peu sur son siège et défit les deux boutons de son manteau. Elle portait un tailleur assez court, à revers très longs et ouvrit également la veste. En dessous, elle avait un pull-over citron directement sur la peau, et pour ma sécurité je me forçai délibérément à regarder la route.

Maintenant, dans la voiture, ça sentait son parfum et l’alcool, un peu la cigarette, une vraie odeur à vous monter à la tête. Mais je laissai les glaces fermées. Nous continuions à ne pas parler ; ça dura encore une demi-heure, et puis elle rouvrit le casier et but encore deux verres. Elle avait chaud maintenant et retira son manteau. Et dans le mouvement qu’elle fit en se rapprochant de moi, je me penchai un peu et lui embrassai le cou, juste sous l’oreille. Elle s’éloigna brusquement et se retourna, et me regarda, et puis, elle éclata de rire. Je pense que le whisky commençait à lui faire de l’effet. Je conduisis encore cinquante milles sans rien dire, et je l’attaquai enfin. Elle avait encore repris du whisky.

– Pas en forme ?

– Ça va, dit-elle lentement.

– Pas envie de sortir avec le vieux Lee ?

– Oh, ça va !

– Pas envie d’aller voir sa petite sœur ?

– Ne me parlez pas de ma sœur.

– C’est une gentille fille.

– Oui, et elle baise bien, hein ?

Elle me coupa le souffle. N’importe qui d’autre pouvait me dire ça sans que j’y fasse attention, Judy, Jicky, B. J., mais pas Lou. Elle vit que je restais sur place et rit à s’en étrangler. Quand elle riait, on voyait qu’elle avait bu.

– Ce n’est pas comme ça qu’on dit ?

– Si, approuvai-je. Exactement comme ça.

– Et ce n’est pas ce qu’elle fait ?

– Je ne sais pas.

Elle rit encore.

– Pas la peine, Lee, vous savez, je ne suis plus d’âge à croire qu’on attrape des gosses en s’embrassant sur la bouche !

– Qui a parlé de gosse ?

– Jean attend un bébé.

– Vous êtes malade.

– Je vous assure, Lee, ce n’est pas la peine de continuer. Je sais ce que je sais.

– Je n’ai pas couché avec votre sœur.

– Si.

– Je ne l’ai pas fait, et quand bien même je l’aurais fait, elle n’attend pas de gosse.

– Pourquoi est-ce qu’elle est malade tout le temps ?

– Elle était malade chez Jicky, et pourtant, je ne lui avais pas fait de gosse. Votre sœur a l’estomac fragile.

– Et le reste, ce n’est pas trop fragile ?…

Et puis, elle se rua sur moi à coups de poing. Je rentrai la tête dans les épaules et j’accélérai. Elle me tapait dessus de toute sa force ; ce n’était pas grand-chose, mais je le sentais quand même. À défaut de muscles, elle avait des nerfs, et un bon entraînement au tennis. Quand elle s’arrêta, je me secouai.

– Vous vous sentez mieux ?

– Je me sens très bien. Et Jean, est-ce qu’elle se sentait bien, après ?

– Après quoi ?

– Après que vous l’avez baisée ?

Elle éprouvait sûrement un plaisir considérable à répéter ce mot-là. Si je lui avais passé la main entre les cuisses à ce moment-là, je suis sûr que j’aurais dû m’essuyer.

– Oh, dis-je, elle avait déjà fait ça !

De nouveau, ce fut l’avalanche.

– Vous êtes un sale menteur, Lee Anderson.

Elle haletait après cet effort et restait tournée vers la route.

– Je crois que je préférerai vous baiser, dis-je. J’aime mieux votre odeur, et vous avez plus de poils au ventre. Mais Jean baise bien. Je la regretterai quand nous serons débarrassés d’elle.

Elle ne bougea pas. Elle encaissa ce truc-là comme le reste. Moi, j’avais la gorge serrée, et, sur le coup, ça m’avait fait comme une sorte d’éblouissement, parce que je commençais à me rendre compte.

– Est-ce que nous le ferons tout de suite, murmura Lou, ou seulement après ?

– Faire quoi ? murmurai-je.

J’avais du mal à parler.

– Est-ce que vous allez me baiser ?… dit-elle si bas que je compris ce qu’elle disait plus que je ne l’entendis réellement.

Maintenant, j’étais excité comme un taureau et ça me faisait presque mal.

– Il faut la supprimer avant, dis-je.

Je dis ça seulement pour voir si je la tenais tout à fait.

– Je ne veux pas, dit-elle.

– Vous y tenez tant à votre sœur, hein ? Vous vous dégonflez.

– Je ne veux pas attendre.

Par chance pour moi, j’aperçus un poste d’essence et j’arrêtai la bagnole. Il fallait que je pense à autre chose, sinon je perdais mon sang-froid. Je restai assis et je dis au type de remplir le réservoir. Lou tourna la poignée de la portière et sauta à terre. Elle murmura quelque chose et l’homme lui indiqua la baraque. Elle disparut et revint au bout de dix minutes. J’en avais profité pour faire regonfler un pneu un peu mou et pour dire au type de m’apporter un sandwich que je ne pus pas manger.

Lou se réinstalla. J’avais payé l’homme et il était reparti se coucher. Je remis la voiture en marche et je me mis à conduire à tombeau ouvert, pendant encore une ou deux heures. Lou ne bougeait plus, elle avait l’air de dormir ; je m’étais calmé tout à fait, et tout à coup, elle s’étira, rouvrit le casier, et cette fois elle prit trois verres coup sur coup et ôta la veste de son tailleur.

Je ne pouvais plus la voir bouger sans m’exciter de nouveau. J’essayai de continuer à conduire mais dix milles plus loin j’arrêtai la bagnole au bord de la route. Il faisait encore nuit mais on sentait pourtant venir l’aube, et dans ce coin, il n’y avait pas de vent. Des bouquets d’arbres et des buissons. Nous avions traversé une ville une demi-heure avant, peut-être.

Lorsque j’ai eu serré les freins, j’ai pris la bouteille et j’ai bu un coup et puis je lui ai dit de descendre. Elle a ouvert la porte et pris son sac, et je l’ai suivie ; elle allait vers les arbres et s’arrêta dès que nous y fûmes et me demanda une cigarette ; je les avais laissées dans l’auto. Je lui dis de m’attendre ; elle commençait à fouiller dans son sac pour en trouver mais j’étais déjà parti et je courus jusqu’à la voiture. Je pris aussi la bouteille. Elle était presque vide, mais il m’en restait d’autres dans le coffre arrière.

Quand je suis revenu, j’avais du mal à marcher et j’ai commencé à me déboutonner avant d’arriver jusqu’à elle ; à ce moment, j’ai vu l’éclair du coup de revolver, et juste au même moment, j’ai eu l’impression que mon coude gauche éclatait ; mon bras est retombé le long de mon thorax : si je n’avais pas été en train de m’arranger, je prenais le pruneau dans les poumons.

Tout ça, je l’ai pensé en une seconde ; la seconde d’après j’étais sur elle et je lui tordais le poignet, et puis je lui ai appliqué un coup de poing sur la tempe, de toutes mes forces, parce qu’elle essayait de mordre ; mais j’étais mal placé, et je souffrais comme un damné. Elle a pris ça et s’est affaissée par terre sans bouger, mais ça ne faisait pas encore mon affaire. J’ai ramassé le revolver et je l’ai mis dans ma poche. C’était seulement un 6,35, comme le mien, mais la garce avait visé juste. Je suis retourné à l’auto en courant. Je tenais mon bras gauche dans ma main droite et je devais grimacer comme un masque chinois, mais j’étais tellement enragé que je ne me rendais pas compte à quel point j’avais mal.

J’ai trouvé ce que je cherchais, de la corde, et je suis revenu. Lou commençait à remuer. Je n’avais qu’une main pour lui ficeler les bras, et j’ai eu du mal, mais quand ça a été fini, j’ai commencé à la gifler ; je lui ai arraché sa jupe de tailleur et j’ai déchiré son pull, et je me suis remis à la gifler. J’avais dû la tenir avec mon genou pendant que j’enlevais ce sacré chandail, et je réussis seulement à ouvrir le devant. Il faisait un tout petit peu jour ; une partie de son corps était juste dans l’ombre plus noire de l’arbre.

À ce moment, elle a essayé de parler et elle m’a dit que je ne l’aurais pas et qu’elle venait de téléphoner à Dex de prévenir les flics, et qu’elle pensait que j’étais une crapule depuis que j’avais parlé de supprimer sa sœur. J’ai rigolé, et puis elle a fait aussi une espèce de sourire et je lui ai appliqué mon poing sur la mâchoire. Sa poitrine était froide et dure ; je lui ai demandé pourquoi elle m’avait tiré dessus, et j’essayais de me maîtriser ; elle m’a dit que j’étais un sale nègre, que Dexter le lui avait dit, et qu’elle était venue avec moi pour prévenir Jean, et qu’elle me haïssait comme jamais personne.

J’ai rigolé encore. Ça battait dans ma poitrine comme un marteau de forge, et mes mains tremblaient et mon bras gauche saignait dur ; je sentais le jus me couler le long de l’avant-bras.

Alors je lui ai répondu que les Blancs avaient descendu mon frère, et que je serais plus dur à avoir, mais qu’elle, en tout cas, allait y passer, et j’ai crispé ma main sur un de ses seins jusqu’à ce qu’elle manque s’évanouir, mais elle ne disait rien. Je l’ai giflée à mort. Elle a ouvert les yeux de nouveau. Le jour venait, et je les voyais briller de larmes et de rage ; je me suis penché sur elle ; je crois que je reniflais comme une espèce de bête et elle s’est mise à gueuler. Je l’ai mordue en plein entre les cuisses. J’avais la bouche remplie de ses poils noirs et durs ; j’ai lâché un peu et puis j’ai repris plus bas, où c’était plus tendre. Je nageais dans son parfum, elle en avait jusque-là, et j’ai serré les dents. Je tâchais de lui mettre une main sur la bouche mais elle gueulait comme un porc, des cris à vous donner la chair de poule. Alors, j’ai serré les dents de toutes mes forces et je suis rentré dedans. J’ai senti le sang me pisser dans la bouche, et ses reins s’agitaient malgré la corde. J’avais la figure pleine de sang et j’ai reculé un peu sur les genoux. Jamais je n’ai entendu une femme crier comme ça ; tout d’un coup je me suis rendu compte que tout partait dans mon slip ; ça m’a secoué comme jamais, mais j’ai eu peur que quelqu’un ne vienne. J’ai craqué une allumette, j’ai vu qu’elle saignait fort. À la fin, je me suis mis à lui taper dessus, juste avec mon poing droit d’abord, sur la mâchoire, j’ai senti ses dents se casser et j’ai continué, je voulais qu’elle arrête de crier. J’ai tapé plus fort et puis j’ai ramassé sa jupe, je la lui ai collée sur la bouche et je me suis assis sur sa tête. Elle remuait comme un ver. Je n’aurais pas pensé qu’elle ait la vie aussi dure ; elle a fait un mouvement si violent que j’ai cru que mon avant-bras gauche allait se détacher ; je me suis rendu compte que j’étais maintenant dans une telle colère que je l’aurais écorchée ; alors, je me suis levé pour la terminer à coups de pieds, et j’ai pesé de tout mon poids en mettant un soulier en travers de sa gorge. Quand elle n’a plus bougé, j’ai senti que ça revenait une seconde fois. Maintenant, j’avais les genoux qui tremblaient et j’ai eu peur de tourner de l’œil à mon tour.

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