Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée de l’abbé Angelo au château de Caprera. Lucrèce attendait avec impatience l’arrivée de César auquel elle venait encore d’expédier un courrier. Dans son esprit, comme dans celui de son frère, le vieux Borgia était condamné. Cependant, elle attendait…
Angelo lui avait exposé son plan. Il fallait introduire la vieille sorcière qu’il avait amenée dans le château. Une fois là, cette femme agirait.
Elle se résolut à « laisser faire » l’abbé Angelo.
Le premier soin de celui-ci fut d’inspirer au vieillard une confiance illimitée. Il y parvint. Et si le vieux Borgia continua à s’enfermer la nuit à triple verrou, s’il continua à changer de chambre tous les soirs, du moins ses terreurs s’évanouirent peu à peu, grâce aux efforts de l’abbé Angelo.
Il en était arrivé à sortir même du château. Il se risquait parfois le soir sur la grève, où il se promenait à pas lents.
Les nouvelles qu’il recevait de la Ville Éternelle devenaient d’ailleurs meilleures. L’insurrection qui avait pris naissance dans le peuple à la suite de la défaite de César semblait s’étouffer elle-même.
Maintenant, le pape commençait à calculer le moment où il pourrait entrer à Rome. C’est ce qu’il expliquait à son confident, l’abbé Angelo, un soir que tous deux, quelques jours après l’arrivée de l’abbé, se promenaient sur la grève, au pied de la falaise rocheuse. Des gardes précédaient et suivaient le pape à distance.
– Je n’ai jamais vu si bon air à Votre Sainteté…
– C’est la mer, vois-tu… Quel calme !… Oui, Angelo, je me sens fortifié depuis quelques jours… Je le dois en grande partie à ma fille… Elle n’a pas failli un instant ! Elle m’a encouragé… Mais ce n’est pas tout, Angelo. Arrivé ici avec des pensées d’amertume et de colère, je ne me sens pas la force de méditer le châtiment des rebelles… Je veux que le pardon soit général. Si tu savais comme le pardon apaise…
Et, comme pour lui-même, il ajouta :
– Si je pardonne, peut-être me pardonnera-t-on aussi, à moi !…
À ce moment, une ombre noire parut distinctement sur le bord de la mer. Le vieillard la vit, et soudain repris par ses épouvantes, saisit la main d’Angelo.
– Vois-tu ?… fit-il d’une voix angoissée.
– Oui, je vois… Que Votre Sainteté ne craigne rien… Je vais appeler les gardes…
L’ombre s’était approchée. C’était une femme habillée de noir. Angelo la reconnut. C’était la Maga !…