Rentré dans sa chambre à coucher, César se jeta dans un fauteuil et laissa tomber sa tête dans ses deux mains. Toute sa pensée tourmentée, tortueuse et imprécise encore, se résuma dans ces mots qu’il murmura :
– Il aime Primevère… Mais est-ce qu’elle l’aime ?
César était une sorte de fauve. Il avait aimé souvent : mais à la façon des fauves. Il était le mâle qu’excite la vue d’une femelle qui passe : il prenait la femelle, et c’était tout. Jamais sa jalousie ne s’était éveillée au moment où ses sens au repos ne lui faisaient pas convoiter la femme.
Or, pour la première fois, un sentiment « humain » naissait et se développait dans cette conscience de fauve. Pour la première fois, la possession de la femme convoitée ne lui apparaissait pas comme la complète satisfaction. Pour la première fois, il s’inquiétait des antécédents et du sentiment de la femme aimée.
L’étonnement où cette découverte le jeta d’abord fit place à une violente colère. Il se leva, parcourut sa chambre à grands pas, brisa une statuette et deux magnifiques vases de porphyre, écuma, jura. Finalement, il tomba tout habillé sur son lit et se remit à penser.
– Elle l’aime, c’est incontestable. Ils se sont vus. Il a menti lorsqu’il m’a dit qu’il ne la connaissait pas… Elle l’aime, soit !… Mais s’est-elle donnée à lui ? Oh ! rugit-il, ne pas savoir !… Si au moins, je savais !…
Il se jeta brusquement hors du lit et se remit à marcher, avec vraiment les allures d’un fauve qui gronde en songeant à une proie.
Mais il eut beau faire, se démener, tempêter furieusement, la même question entêtée venait se poser.
– Le lui demander ? Descendre dans sa cellule ! L’interroger ?
Mais il la repoussa avec violence. Il éclata de rire :
– Moi, César Borgia, demandant à M. le chevalier de Ragastens si ma future maîtresse est pure ! Quel spectacle !… Ah çà ! je deviens fou à lier…
Pendant une partie de la nuit, il se débattit, tantôt prostré dans une sorte d’abattement maladif, tantôt en proie à des accès de délire qui, dans les salles voisines, faisaient trembler les laquais éveillés… Enfin, il finit par arrêter un plan qui, en apparence, conciliait les sentiments qui s’étaient entrechoqués dans sa pensée.
– Eh bien, j’y vais, fit-il en grondant entre ses dents. J’y vais !… Il faut que je sache… je n’y puis plus tenir… Voici le matin… Ragastens plongé dans la dernière cellule, jamais plus je ne pourrai savoir… Il faut que je sache !… Il parlera !… Je lui offrirai au besoin la liberté en échange de la vérité ! Il ne sera pas assez fou pour refuser !…
Et, avec un sourire, il continua :
– Quant à lui donner la liberté, je tiendrai ma parole… Je lui ouvrirai la porte… mais un bon coup de poignard par derrière… quand il aura parlé.
Il n’acheva pas. Seulement, il s’assura que sa dague était bien à sa place à sa ceinture.
Il descendit aussitôt au corps de garde situé au rez-de-chaussée, prit la clef de la cellule où était enfermé Ragastens, la clef qui ouvrait les cadenas des chaînes, et s’enfonça dans les sous-sols…