XLVII LE DUEL

Ragastens, en allant au rendez-vous de Jean Malatesta, était réellement désespéré, tout prêt à se laisser tuer par son adversaire, résolu d’en finir d’un coup avec une vie qui lui paraissait insipide du moment que Primevère lui échappait. Mais Ragastens avait compté sans le bon et puissant instinct de vivre, sans son tempérament spécial, qui lui faisait à la rigueur accepter et même souhaiter la mort, mais à qui la pensée de mourir dans une défaite était insupportable.

Donc, au moment où il se mit en garde, il offrit pour ainsi dire sa poitrine à l’adversaire. Mais, dès le premier coup sérieux qui lui fut porté, il para.

Ce ne fut pas seulement l’instinct de vivre, mais la curiosité intéressée du manieur d’épée. Malatesta était un adversaire digne de lui. Il jouait un jeu terrible. Et Ragastens, qui se fût peut-être laissé tuer par un maladroit, sentit se réveiller toute son ardeur dès l’instant où il vit qu’il risquait la mort.

Il s’intéressa à ce duel et se passionna pour l’escrime de son adversaire. Cela le sauva.

Malatesta, cependant, lui portait botte sur botte. Et, en même temps, la pensée de Ragastens évoluait ; il résolut de ne pas blesser le jeune homme, mais de se défendre de façon à ne pas être touché lui-même.

Il y eut ainsi une première passe d’armes qui arracha des cris d’admiration aux témoins de cette scène. Deux ou trois fois déjà, le chevalier eût pu blesser à mort son adversaire ; à chaque fois, il s’était contenté de parades sans ripostes. Trois reprises assez longues se succédèrent.

À la quatrième, Ragastens résolut d’en finir. Par une série de ces doublés qui le rendaient si redoutable, il lia l’épée de Malatesta et la fit sauter.

À cette époque, il était permis de tuer l’adversaire désarmé. Le duel était un vrai combat à mort, où toutes les ruses étaient permises. Il fallait tuer ou l’être.

Malatesta, désarmé, se croisa les bras.

– Vous triomphez sur tous les terrains, monsieur, dit-il avec amertume. Tuez-moi !…

Les témoins, dans ce rapide instant, considérèrent Malatesta comme un homme mort. Mais Ragastens, sans répondre, avait couru à l’épée de Malatesta. Il la ramassa, puis, revenant au jeune homme, gravement, il la lui présenta par la poignée.

Ce geste fut si simple que les cavaliers présents ne purent s’empêcher d’applaudir.

Quant à Malatesta, sa poitrine se gonfla, mais les larmes qui voulaient monter à ses yeux ne parvinrent point à couler. Pendant quelques secondes, il demeura comme accablé, hésitant, en proie à une sorte de vertige. Puis, tout à coup, il ouvrit ses bras ; la générosité de Ragastens l’avait vaincu !…

– Aimez-la ! murmura le malheureux jeune homme. Vous êtes digne d’elle…

– Morbleu ! répondit Ragastens, je renoncerais à ma part de ciel s’il me fallait faire du mal à un gentilhomme aussi accompli. Mais, continua-t-il, assombri soudain, vous vous trompez singulièrement. Il est possible qu’elle ne vous aime pas, puisque vous l’affirmez. Mais je vous garantis que je ne suis pas plus heureux que vous !

Ces mots avaient été échangés à voix basse. Malatesta secoua la tête, puis, prenant Ragastens par la main :

– Messieurs, dit-il, voici mon frère…

Giulio Orsini résuma l’impression générale en disant :

– Le chevalier devient notre frère à tous, puisqu’il va combattre parmi nous, avec nous, pour nous.

Cette simple parole décida des destinées de Ragastens. L’instant d’avant, il se répétait que, Primevère mariée, son duel terminé, il n’avait plus qu’à s’en aller. Et, dès qu’Orsini eut parlé, il vit qu’il était lié.

S’en aller, c’était reculer, c’était se sauver. Or, Ragastens admettait tout, hormis qu’on pût dire qu’il avait fui. Ce fut donc sans hésitation qu’il répondit :

– Messieurs, vous me voyez tout glorieux de l’honneur de vaincre ou mourir en si belle compagnie.

Tous, alors, remontèrent à cheval et prirent le chemin de Monteforte.

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