XXXVIII UNE TONNELLE PRÈS D’UNE FENÊTRE

Pendant quelques jours, Ragastens, l’esprit désemparé, erra dans les montagnes, irrésolu, flottant d’une pensée à l’autre, tantôt projetant de retourner en France, tantôt voulant courir à Florence…

Cependant, si capricieux que fussent les méandres de sa course vagabonde, la fatalité voulut qu’il se rapprochât de plus en plus de la ville de Monteforte.

Quoi qu’il en fût, il arriva que, le cinquième soir de son voyage, Ragastens s’aperçut tout à coup qu’il n’était plus qu’à deux journées de marche de Monteforte.

Au moment où le chevalier fit cette découverte qui devait avoir sur sa destinée une influence décisive, il se trouvait dans l’unique et pauvre auberge d’un misérable village où il était arrivé deux heures auparavant. Il était assis devant une bouteille de vin gris, qui rafraîchissait dans le seau d’eau glacée qu’on venait de tirer d’un puits.

Or, ce tête-à-tête de Ragastens et d’un flacon de vin gris avait lieu sous une tonnelle épaisse, laquelle, située dans un jardin, s’adossait presque à l’auberge, de façon qu’entre elle et le mur de ladite auberge, il y avait juste un étroit passage.

Le mur en question était percé d’une fenêtre de rez-de-chaussée. Cette fenêtre donnait sur une petite pièce que la tonnelle garantissait des ardeurs du soleil et de tout regard indiscret. Plusieurs personnages réunis dans la pièce causaient entre eux. Ces personnages ne pouvaient rien dire sans être entendus de Ragastens.

Quelques mots prononcés d’une voix plus haute lui firent dresser l’oreille. Dès lors, il ne perdit pas une syllabe de ce qui se disait dans la petite pièce. Et ce qui se disait devait être d’un prodigieux intérêt pour Ragastens. Car, peu à peu, il s’était levé, s’était rapproché le plus possible du rideau de feuillage, l’oreille tendue, les yeux brillants. Enfin, au moment où la conversation qu’il venait de surprendre paraissait près de sa fin, Ragastens se pencha doucement et fit signe à un homme qui, dans la cour, fourbissait des brides de chevaux. L’homme accourut.

– Spadacape, lui souffla Ragastens dans l’oreille, tu vois cette chambre, n’est-ce pas ? La porte donne sur le couloir qui traverse l’auberge. Tu vas aller te placer devant la porte et tu ne bougeras plus…

– Bon… j’y vais…

– Attends !… Tu auras ton poignard à la main. Si on ouvre la porte, et que quelqu’un veuille sortir…

– Il faudra qu’il se heurte à cette pointe d’acier ?

– Tout juste… Tu comprends à merveille !

Ragastens attendit un instant. Puis, lorsqu’il supposa que Spadacape était à son poste, il sortit de la tonnelle, entra dans l’étroit passage que nous avons signalé, parvint à la fenêtre, et, l’enjambant légèrement, sauta dans la pièce en disant de sa voix la plus railleuse :

– Bonjour, messieurs… Enchanté de faire votre rencontre !…

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