Après avoir lancé un bravo sur la piste de Ferrière, Catherine était revenue dans sa chambre. Elle alla jeter un coup d’œil à travers le petit vasistas.
Fiorinda était prostrée dans son fauteuil. Elle pleurait.
Catherine sourit.
Elle revint dans sa chambre et ouvrit une porte qui donnait sur son cabinet de toilette. Au fond de ce cabinet de toilette, il y avait une autre petite porte. Elle l’ouvrit sans bruit et se trouva dans la chambre de Fiorinda.
« Vous pleurez ? dit Catherine avec sollicitude. Pourquoi ? »
Et se reprenant :
« C’est vrai, j’oubliais… Votre fiancé… »
Fiorinda sécha ses pleurs, les refoula, et ses yeux lumineux rivés sur les yeux de la reine, dressée dans une attitude irréprochable, attentive, repliée sur elle-même, elle attendit l’attaque. Car, chose curieuse, qu’elle eût été probablement fort en peine d’expliquer, elle ne doutait pas que ce ne fût le prélude d’une lutte mortelle où il lui faudrait rendre coup pour coup et – qui sait ? – tuer peut-être pour ne pas être tuée elle-même… ou celui qu’elle aimait, ce qui, pour elle, était tout un.
Cette fois, Catherine n’avait plus devant elle un homme confiant, parce que trop loyal, comme Ferrière. Cette fois, elle allait avoir affaire à forte partie. Elle ne s’en doutait pas, certes. Mais qui eût pu s’en douter ? Fiorinda était si jeune.
« Rassurez-vous, votre fiancé n’est pas en danger… pas pour le moment du moins… Et il dépendra de vous qu’il en soit longtemps ainsi. »
Fiorinda tressaillit. Elle ne s’était pas trompée : c’était bien la lutte qui commençait. Elle demeura calme.
« Tout à l’heure, vous avez dit, madame, devant moi, que la vie et la liberté de M. de Ferrière dépendaient de la justification de Mgr le vidame, son père. Maintenant, vous dites que cela dépend de moi… Il y a donc quelque chose de changé, madame ? Puis-je vous demander quoi ? Et en quoi il ne dépend que de moi que mon fiancé ne soit pas menacé ? »
C’était un coup droit, inattendu. Catherine fronça le sourcil.
« On n’interroge jamais la reine, ma petite. Si vous étiez de la cour, vous sauriez cela.
– Une pauvre fille des rues comme moi ne peut pas connaître les usages de la cour. La reine voudra bien excuser cette ignorance et les erreurs qu’elle peut me faire commettre. C’est pourquoi je me permets d’insister, madame. Rien ne me tient tant au cœur que le salut de mon fiancé. Si j’ai bien compris, ce salut ne dépend que de moi. En quoi ? Pourquoi ? Comment ? Voulez-vous m’expliquer cela, madame ?
– Plus tard, ma petite, il n’est pas encore temps. Pour l’instant, contentez-vous de savoir que j’ai besoin de vous. Et que de la façon dont vous me servirez dépendra le sort de votre fiancé.
– Je croyais que la reine voulait consulter en moi la diseuse de bonne aventure.
– Sans doute, sans doute, fit Catherine avec commencement d’impatience. Mais il y a la manière… qui ne saurait être ici la même que dans la rue. Je vous expliquerai cela en temps et en lieu. À ma convenance, à moi, et non à la vôtre. »
Elle avait dit cela un peu sèchement. Elle reprit immédiatement son attitude bienveillante et avec un gracieux sourire destiné à corriger l’impression pénible que pouvait avoir causé son mouvement d’humeur :
« Je suis venue, bien que mon temps soit précieux, parce que je m’intéresse à vous, pour vous dire : Vivez ici sans appréhension et sans inquiétude. Vous serez bien traitée et j’entends que vous ne vous priviez de rien. Si vous me servez bien, vous serez récompensée au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Je me charge de votre mariage avec M. de Ferrière. Entendez-vous : Je m’en charge… à condition que je sois contente de vous… c’est-à-dire de la façon dont vous me servirez.
– Votre Majesté m’a déjà fait l’honneur de me le dire, répliqua Fiorinda sans qu’il fût possible de percevoir si elle raillait ou parlait sérieusement. Je ne l’oublierai pas. »
Catherine approuva d’un léger signe de tête et se dirigea vers la porte.
Là, elle s’arrêta, et se retourna :
« À propos, dit-elle, je ne veux pas vous laisser croire que vous êtes prisonnière. À partir de maintenant, les portes ne seront plus fermées à clef. Vous êtes libre d’aller et de venir à votre guise.
– Même de sortir du Louvre ? s’écria Fiorinda dont l’œil brilla de joie.
– Sans doute. Quand je dis libre, je l’entends sans restriction. »
Catherine eut un de ces sourires énigmatiques qui inquiétaient terriblement ceux qui la connaissaient bien. Elle feignit de réfléchir.
« Cependant, dit-elle au bout d’un instant, je pense que je puis avoir besoin de vous à l’improviste. Il s’agit d’intérêts très graves. Il serait fâcheux… très fâcheux que vous fussiez absente au moment précis où j’aurais besoin de vous. »
Fiorinda continua de montrer un visage souriant. Mais sa joie tomba d’un coup. Catherine ne voulait pas lui rendre sa liberté, pensa-t-elle. Elle voulut en avoir le cœur net. Elle insinua :
« Je pourrais, avant de sortir, aviser la reine… lui faire connaître le lieu où elle pourrait me trouver en cas de besoin… »
Et le refus qu’elle attendait arriva enveloppé comme Catherine savait le faire :
« Oui… en effet… Mais non… Le hasard nous joue parfois de ces tours abominables… Il se pourrait que j’eusse besoin de vous juste après votre sortie… Il faudrait courir après vous, perdre un temps précieux… Non, décidément, il vaut mieux que vous ne sortiez pas… Et même, en y réfléchissant bien, il me paraît essentiel de vous avoir sous la main à toute heure de la nuit et du jour. Vous êtes libre, je ne m’en dédis pas… Mais je serai plus tranquille si vous me promettez de ne pas bouger de cette chambre. »
Fiorinda comprit la ruse. Elle comprit ainsi qu’elle ne pouvait pas se dérober devant cette demande qui, au fond, était un ordre déguisé. Elle se garda bien de résister, de montrer son mécontentement.
« C’est bien, dit-elle simplement, je vous promets, madame, de ne quitter cette chambre sous aucun prétexte et ne fût-ce qu’une minute. Est-ce tout ? »
Catherine aurait pu lui faire observer qu’elle continuait à se permettre d’interroger la reine. Elle avait mieux à faire pour l’instant. Et répondant à sa question :
« Oui, je crois… » dit-elle.
Et se reprenant :
« Il faut tout prévoir. Le hasard pourrait vous mettre en présence de quelqu’un qui n’est pas de la maison. Si l’on vous interroge… il est bien entendu, n’est-ce pas, que vous êtes ici de votre plein gré, libre d’aller et venir, à telles enseignes que la porte n’est pas fermée à clef ? »
Fiorinda sentit percer la menace. Elle s’inclina encore une fois de bonne grâce :
« Je répéterai ce que Votre Majesté vient de me dire », fit-elle.
Et après une courte hésitation :
« Si l’on s’étonne de me voir cloîtrée ici, que répondrai-je ? »
Catherine réfléchit une seconde et répondit :
« Vous direz que, ne vous sentant pas à votre place à la cour, vous préférez vous tenir volontairement à l’écart, de crainte de commettre quelque manquement à l’étiquette que tout le monde n’aurait peut-être pas l’indulgence d’excuser.
– Comme le fait Votre Majesté », répliqua Fiorinda, sans qu’il fût possible de percevoir qu’elle raillait. Et elle ajouta aussitôt :
« C’est bien, madame, j’obéirai. »
Catherine la regardait d’un œil soupçonneux, s’efforçant de lire sa pensée dans ses yeux.
Mais Fiorinda soutint ce regard de feu avec l’assurance de l’innocence.
Catherine dut reconnaître que ce visage souriant demeurait hermétiquement fermé pour elle. Elle eut un geste de dépit, pivota sur les talons et se dirigea vers la petite porte qu’elle ouvrit.