Deux jours après l’explosion du bastillon, le père de Beaurevers, l’illustre mage Nostradamus, sa mère et sa fiancée elle-même, Florise, arrivèrent à Paris.
Fiorinda retourna à la maison de la rue des Petits-Champs.
La veille de l’arrivée de la famille de Beaurevers, celui-ci se présenta chez le vidame et l’emmena au Louvre où le roi, lui dit-il, voulait le voir. Ils y trouvèrent Ferrière. Le père et le fils se trouvèrent face à face pour la première fois depuis longtemps, en présence du roi et de Beaurevers.
« Monsieur, dit François en s’adressant au vidame, je vous rappelle que vous avez donné votre consentement au mariage du vicomte de Ferrière, votre fils, avec celle que je lui ai choisie pour épouse.
– Je ne m’en dédis point, Sire, répondit le vidame… à condition que le vicomte accepte.
– Cela va sans dire, sourit François. Mais le vicomte acceptera, j’en réponds. »
Et comme Ferrière esquissait un geste de protestation, il ajouta vivement :
« Vous parlerez tout à l’heure, monsieur… quand vous aurez vu votre fiancée. »
Il frappa aussitôt sur un timbre.
La reine Marie Stuart parut. Elle conduisait elle-même, de sa royale main, Fiorinda rougissante, en habit de cour somptueux, qu’elle portait avec une aisance incomparable, comme si elle n’avait fait que cela de toute sa vie.
François alla au-devant de la reine, prit Fiorinda par la main et la mena devant le vicomte en disant :
« Voici madame la comtesse de Chaprose, que je vous propose pour épouse. »
Et avec un air malicieux :
« Si toutefois vous voulez bien l’accepter pour telle. » Ferrière tomba à genoux, saisit la main du roi et la porta à ses lèvres en bégayant :
« Ah ! Sire, pouvez-vous le demander ?…
– Là, triompha François en se tournant vers le vidame émerveillé, que vous avais-je dit ? »
François tint la parole qu’il avait donnée au vidame : lui et la reine Marie Stuart assistèrent au mariage du vicomte de Ferrière avec Fiorinda, devenue comtesse de Chaprose, de par la volonté du roi, et ils ouvrirent le bal.
Le duc de Ferrière se démit de sa charge de vidame de Saint-Germain et se retira dans ses terres avec son fils et sa bru. Ce qui était le meilleur moyen de se faire oublier de la vindicative Catherine. Ils y vécurent heureux et, comme dans les contes de fées, ils eurent beaucoup d’enfants – pas le vidame, bien entendu, mais Ferrière et Fiorinda. Au bout de quelques semaines, celle-ci avait si bien fait la conquête de son beau-père qu’il ne jurait que par elle et qu’on l’eût fort étonné en lui rappelant qu’il s’était opposé de tout son pouvoir à ce mariage qui lui apparaissait comme honteux.
On sait que le pauvre petit François II s’alita le 15 novembre de cette même année 1560 pour ne plus se relever. Il mourut une vingtaine de jours plus tard, le 5 décembre.
Du moins vécut-il ses derniers jours de bonne santé à sa guise et sans qu’aucun attentat nouveau se produisît contre lui. Voici pourquoi :
Le lendemain de son arrivée, Nostradamus, après avoir visité François, était allé trouver Catherine et lui avait dit à brûle-pourpoint :
« Madame, si vous avez des dispositions à prendre en vue de la succession au trône, faites-le. D’ici un mois au plus, le roi sera mort. »
Catherine savait qu’il était inutile de jouer la comédie avec Nostradamus.
« En êtes-vous sûr, messire ? dit-elle froidement.
– Tout à fait sûr, madame.
– Pourtant, François paraît se porter à merveille.
– Vous avez dit le mot, madame : il paraît. Mais il paraît seulement. Dans quelques jours, quinze, vingt jours peut-être, le roi prendra le lit… Il ne le quittera plus que pour aller rejoindre ses aïeux dans les caveaux de la basilique de Saint-Denis. »
Catherine demeura un instant rêveuse. Et redressant la tête, fixant un regard ardent sur Nostradamus impassible :
« Pourquoi me dites-vous cela ? » fit-elle.
Froidement, Nostradamus répondit par une autre question :
« Ne vous semble-t-il pas, madame, qu’il serait humain de laisser ce pauvre enfant vivre en paix le peu de jours qui lui restent à vivre ?
– Je vous entends, messire, dit Catherine avec un sourire livide. Je vous entends et je vous approuve… si vous m’assurez que les choses iront ainsi que vous le dites.
– Je vous l’affirme, madame.
– Eh bien… nous avons attendu durant de longues années, nous pouvons bien patienter un mois encore. »
Nostradamus avait obtenu ce qu’il voulait. Il s’inclina de son air froid et sortit.
Quant à Beaurevers, si Catherine l’oublia, c’est que, après son mariage et sitôt après la mort de François, Nostradamus eut la prudence de l’emmener avec lui et toute sa famille loin de Paris, sous le ciel ensoleillé de la Provence.
Catherine avait d’autres soucis en tête, à ce moment, que d’aller le poursuivre jusque-là de sa vengeance. Catherine pensait qu’avec le règne de l’enfant qu’était le nouveau roi, Charles IX, c’était son règne à elle qui commençait.
Elle avait compté sans les Guises qui ne renonçaient pas à leurs projets ambitieux et qui le lui firent bien voir.