La Réforme est inséparable de la Renaissance ; elle fut une révolution à la fois politique et religieuse. Prêchée en France par Calvin dès 1534, la Réforme provoqua, entre catholiques et protestants, une longue série de guerres.
Déjà sous François Ier et Henri II, des persécutions avaient été dirigées contre les non-catholiques : extermination des Vaudois, supplices d’Etienne Dolet et d’Anne du Bourg.
Mais, sous François II, la lutte ouverte éclata. Marié à Marie Stuart, nièce de François de Guise et du cardinal de Lorraine, François II est peu aimé de sa mère, Catherine de Médicis. Elle lui préfère son fils cadet, Henri – futur Henri III. À tout prix, elle veut écarter François II du trône et, pour servir ses sombres desseins, la reine mère n’hésite pas à s’entourer de bretteurs sans scrupules, dont le baron de Rospignac est le chef.
Dans ces sombres conjonctures de guerre civile, François II se lie d’amitié avec le chevalier de Beaurevers et le vicomte de Ferrière. Ils mettent leur courage et leur épée au service du roi, jeune et inexpérimenté, pour protéger sa vie, menacée par les entreprises criminelles de Catherine II et de sa clique.
C’est au cours d’une mission que le vicomte de Ferrière rencontre par hasard Fiorinda-la-Belle, diseuse de bonne aventure. Il s’éprend d’elle, mais sa passion ne lui fait pas oublier le devoir qu’il s’est tracé : protéger la vie du roi ; celui-ci partage les dangers de ses amis, affublé sous un nom d’emprunt : le comte de Louvre.
La reine mère Catherine II est rapidement mise au courant par Rospignac de l’amitié qui unit son fils au chevalier de Beaurevers, au vicomte de Ferrière et à leurs amis : Trinquemaille, Strapafar, Corpodibale et Bouracan. Elle voue à ses adversaires une haine farouche, mais les deux gentilshommes veillent et se tiennent sur leurs gardes. Pourtant, l’image de celles qu’ils aiment – le chevalier de Beaurevers est fiancé à Mlle Florise de Roncherolles – ne quitte pas leurs pensées. Le vicomte de Ferrière, qui n’avait pas revu Fiorinda depuis plusieurs jours, se décide à aller la voir.
Ce jour-là, Ferrière sortit de chez lui vers onze heures du matin. Il avait vainement attendu jusque-là la visite promise de Beaurevers. Il se rendait bien compte qu’il était encore de bonne heure, qu’il aurait pu attendre encore un peu, mais l’impatience le rongeait. Et il était parti.
Il jouait de malheur décidément : il ne trouva pas Fiorinda. La maison de la rue des Marais, où il alla tout d’abord, n’était plus qu’un amas de décombres.
Ce ne fut que tard, dans la soirée, que, sur une indication un peu plus précise, il finit par la trouver dans les environs de la croix du Trahoir.
« Je vous cherchais, Fiorinda… Je vous cherche depuis ce matin, onze heures. »
Elle s’inquiéta :
« Jésus Dieu ! serait-il arrivé malheur à M. de Beaurevers ou à M. de Louvre ? »
Il la rassura d’un signe de tête et, tout à son idée, il déclara sans plus tarder :
« Il faut que vous sachiez que je vous aime. Ne protestez pas… Ne me fuyez pas… Je vous en prie. Je n’ai rien oublié de ce que vous m’avez dit sous l’orme de Saint-Gervais… Et si je vous dis que je vous aime, Fiorinda, je vous aime depuis la première seconde où vous êtes apparue dans ma vie ; si je vous dis cela, c’est que je veux ajouter ceci : Fiorinda, voulez-vous faire de moi le gentilhomme le plus heureux de ce monde en consentant à devenir ma femme ? Dites, le voulez-vous ?… »
C’était l’amour pur, vibrant de sincérité, qui s’exprimait ainsi.
Fiorinda le vit et le comprit bien ainsi. Et ce fut comme un flot de lumière vivifiante qui pénétrait en elle. En même temps elle vit aussi avec quelle inexprimable angoisse il attendait sa réponse. Et elle dit simplement :
« Oui, monseigneur. »
Il respira fortement comme un homme trop longtemps oppressé. Il se courba sur la main qu’elle lui tendait dans un geste charmant d’abandon spontané, et déposa un baiser d’adoration fervente sur les doigts fuselés.
Il retint doucement cette main entre les siennes et glissa au doigt un cercle d’or très simple, serti d’une perle du plus pur orient : l’anneau des fiançailles. Et il dit d’une voix profonde, infiniment douce :
« C’était l’anneau de fiançailles de madame ma mère… Acceptez-le comme un gage d’amour ardent et fidèle jusqu’à la mort. »
Elle considéra un instant l’anneau symbolique avec des yeux embués de larmes. Elle leva lentement la main jusqu’à sa bouche et posa ses lèvres sur la perle dans un baiser de dévotion émue. Et se courbant devant Ferrière, d’une voix grave, changée, une voix harmonieuse si douce, si prenante qu’elle le remua jusqu’au fond des entrailles, elle prononça, comme on profère un serment solennel :
« Fidèle jusque par-delà la tombe, telle est ma devise, monseigneur, à laquelle je ne faillirai pas, je vous le jure. »
Et c’est ainsi que, par une belle soirée de mai, au milieu des rumeurs de la rue agitée, sous la croix du Trahoir qui étendait au-dessus d’eux ses longs bras qui semblaient bénir après avoir enregistré le serment de fidélité, ce fut ainsi que se fiancèrent très haut et très noble vicomte de Ferrière, futur comte de Chambly, baron de Follembray, seigneur d’une foule d’autres lieux, et Fiorinda, diseuse de bonne aventure, pauvre fille du peuple, sans nom, sans titres, sans fortune.
Ils se prirent la main et côte à côte, lentement, ils se perdirent au hasard dans le dédale des petites rues qui avoisinaient les Halles et sur lesquelles s’étendait peu à peu le voile de la nuit qui tombait.
Ce fut une longue heure de rêverie heureuse qui leur parut brève comme une seconde.
Et ce fut Ferrière qui le premier revint au sentiment de la réalité.
« La nuit tombe, dit-il, les rues ne sont pas sûres. Cette agitation populaire, que vous avez pu remarquer et qui a duré une bonne partie de la journée, semble s’être apaisée, mais je ne m’y fie point. Il faut rentrer. J’ai maintenant pour devoir de veiller sur vous. Devoir précieux et bien doux. Souffrez donc, mon joli cœur, que je vous accompagne jusqu’à la porte de votre logis.
– Je n’ai plus de logis, fit-elle en souriant tendrement, j’ai dû accepter l’hospitalité que m’offrit ma belle et bonne Myrta, la sœur de M. de Beaurevers. C’est donc à la petite maison des Petits-Champs que je demeure, en attendant d’avoir trouvé un autre logis.
– En attendant le jour où vous entrerez tête haute dans la maison de votre époux, où vous serez souveraine maîtresse. Dès ce soir avant de me coucher, je parlerai à monsieur mon père et lui demanderai de vouloir bien bénir notre union. »
Aussi naturellement, elle répondit :
« Je vous attendrai ici, dans cette maison amie. La fiancée du vicomte de Ferrière ne saurait plus courir les rues en disant la bonne aventure. Allez, monseigneur, vous avez tout Paris à traverser et mieux vaut le faire avant que la nuit ne soit complètement venue. Dieu vous garde. »
Elle lui tendit le front. Il posa ses lèvres brûlantes sur les fins cheveux, d’un beau châtain foncé, ondulés naturellement, en disant :
« À demain, mon cœur.
– À demain, mon seigneur et mon maître. »
Il partit brusquement. Fiorinda, sans s’en rendre compte, s’était avancée de quelques pas au milieu de la chaussée, afin de le voir plus longtemps. Elle soupira, extasiée :
« Ce n’est pourtant pas un rêve ! »
À ce moment, répondant à ces paroles qu’elle avait prononcées tout haut, une voix à la fois railleuse et menaçante gronda à son oreille :
« Il y a loin de la coupe aux lèvres ! »
Elle se retourna tout d’une pièce, et elle reconnut, penché sur elle, le masque grimaçant, avec ses yeux où luisait la flamme du désir, du baron de Rospignac.
Elle jeta les yeux autour d’elle et elle se vit encadrée par quatre individus armés jusqu’aux dents, immobiles comme des statues de marbre.
Rospignac n’ajouta pas un mot. Il fit un signe.
Elle se vit prise, soulevée à bout de bras. Elle n’essaya pas de résister. Elle cria. Elle appela de toutes ses forces :
« À moi !… Ferrière !… Beaurevers !… À moi !…
– Le bâillon, drôles ! » commanda la voix rude de Rospignac.
L’ordre fut exécuté avec une promptitude qui tenait du prodige.
Leur précieux fardeau sur l’épaule, les quatre sinistres porteurs s’éloignèrent vivement. Ils s’avancèrent ainsi dans la direction de la rue Coquillère. Rospignac marchait silencieusement à côté d’eux. Une litière, dissimulée dans un renfoncement, attendait à une vingtaine de toises de là. Quelques enjambées suffirent pour les amener jusqu’au véhicule.
Fiorinda fut doucement étendue sur les coussins de la litière, dont les mantelets étaient rabattus.
« Allez ! », ordonna Rospignac.
Et la lourde machine s’ébranla, conduite en main par un palefrenier, escortée par les quatre porteurs.
Cet enlèvement s’était accompli avec une incroyable rapidité. Depuis l’instant où Rospignac était apparu à Fiorinda, stupéfaite mais non effrayée, jusqu’au moment où, la litière s’étant éloignée, il fit demi-tour et s’enfonça dans la nuit, une minute tout au plus s’était écoulée.
Cette minute venait à peine de finir, Rospignac venait à peine de disparaître, lorsque la porte de la petite maison de la rue des Petits-Champs s’ouvrit brusquement. Un homme bondit dans la rue. C’était Beaurevers. Sur le seuil de la porte demeurée ouverte, deux hommes, deux colosses, dagues et rapières aux poings, se tenaient immobiles.
Beaurevers avait bondi dans la rue. Il parut tout étonné de n’y trouver personne. Il inspecta les environs immédiats de la porte.
« C’est étrange, se dit-il en lui-même, il m’avait pourtant bien semblé avoir entendu mon nom. »
Il revint à la porte. Les deux colosses armés n’avaient pas bougé.
« Je me serai trompé », leur dit-il d’un air soucieux. Et sur le ton bref du commandement :
« Faites bonne garde. Faites en sorte de ne pas laisser se morfondre dehors cette jeune fille quand elle viendra heurter à l’huis. Et veillez sur elle comme sur ma propre sœur. Bonsoir. Fermez tout. »
Sur cette dernière recommandation, et pendant que les deux colosses obéissaient passivement, il s’éloigna à grandes enjambées. En marchant, il grommelait :
« C’est tout de même extraordinaire et inquiétant que cette petite Fiorinda ne soit pas encore rentrée !… Après cela, c’est une fille si étrange, si éprise de son indépendance !… Peut-être s’est-elle sentie en cage dans cette maison et a-t-elle cherché un nid plus à sa convenance… Si ce n’était que cela !… Mais c’est qu’il m’a bien semblé reconnaître sa voix !… Au diable ! J’ai d’autres chiens à fouetter pour le quart d’heure et je n’ai que trop perdu de temps déjà ! Il sera temps, demain, de m’occuper de Fiorinda. »