XLV COMMENT MARIGNY FUT ENTERRÉ TOUT EN DEMEURANT PENDU ET COMMENT LANCELOT BIGORNE DEVINT RICHE UNE TROISIÈME FOIS

En regagnant la porte aux Peintres, Bigorne et Buridan passèrent devant ces quelques misérables chaumières plantées vers l’endroit où la colline redevenait plaine et parmi lesquelles se trouvait cette guinguette, à l’enseigne de La Bonne-Futaille qui coule, où Buridan, Guillaume et Riquet avaient attendu Valois au début de ce récit.

Bigorne arrêta Buridan et lui montra le misérable cabaret.

« Seigneur Buridan, reprit Bigorne, vous voyez bien ce digne cabaret qui déjà fut témoin de nos exploits ? Il me semble que nous pourrions venir ici attendre le moment de monter là-haut pour aider l’infortuné Tristan dans l’accomplissement de sa besogne. »

Buridan fit un signe affirmatif.

« Je vous retrouverai donc ici ? reprit Bigorne.

– Oui, mais toi ?

– Moi, j’ai une affaire à terminer dans la ville. Mais, soyez tranquille, je vous rejoindrai avant que les portes de Paris ne soient fermées. »

Là-dessus, Bigorne s’éloigna à grandes enjambées, et, se dirigeant tout droit vers le Châtelet, pénétra dans la ruelle où se trouvait le logis de maître Capeluche. Il se mit à frapper à grands coups dans la porte, qui était peinte en rouge, afin qu’elle put être reconnue des passants et qu’ils pussent s’en écarter, ou tout au moins dire une prière s’ils passaient devant ; car c’était un malheur ou une menace de malheur que de frôler le logis du bourreau.

Bientôt, le judas s’ouvrit et la figure bestiale de Capeluche apparut.

Il reconnut Bigorne, mais, le voyant seul, n’hésita pas à ouvrir.

« Eh bien, fit-il, goguenard, la chose a manqué ! J’avais pourtant bien scié la corde. Il faut que le diable s’en soit mêlé, c’est la première fois que cela m’arrive !

– Que voulez-vous, compère ? dit Bigorne. Il paraît que le drôle était condamné. Vous avez scié la corde (Bigorne savait le contraire, puisqu’il s’était hissé au pilier de Montfaucon pour s’en assurer), vous avez fait ce que vous avez pu, n’en parlons plus ; c’est un sacripant de moins sur la terre.

– Ainsi, reprit Capeluche, vous n’êtes pas fâché que la corde n’ait pas cassé ?

– Pourquoi ? Vous avez gagné la somme ! Ce n’est pas votre faute si le diable, qui était pressé d’emporter Marigny, a raccommodé la corde que vous aviez sciée. »

Cette fois, Capeluche se mit à rire et rengaina sa dague. Il n’avait aucun soupçon. Et puis, dès l’instant qu’on ne lui redemandait pas l’argent, c’était l’essentiel.

« Qu’êtes-vous donc venu me dire, en ce cas ? reprit-il.

– Il s’agit d’une grosse somme à gagner…

– Vous dites qu’il y a beaucoup d’or à gagner ? fit Capeluche, les yeux incandescents.

– Bon. Vous savez donc, compère, que le sire de Marigny possédait un trésor auprès duquel les trésors du roi ne sont que pauvres mailles et sous de cuivre… Vous savez que l’hôtel de Marigny a été bouleversé, démoli pierre par pierre et qu’on n’a pas trouvé le trésor. Eh bien, ce trésor, je l’ai trouvé, moi ! »

Capeluche devint livide. Un tremblement l’agita.

« Ou plutôt, mais cela revient au même, j’ai trouvé l’homme qui sait où est enfoui le trésor. C’est le vieux et le plus fidèle serviteur de Marigny, un certain Tristan.

– Je le connais ! dit Capeluche. Car, du temps où Marigny faisait pendre en attendant d’être pendu, c’est Tristan qui m’apportait les ordres.

– Bon ! Eh bien, ce Tristan était au gibet de Montfaucon tout à l’heure.

– Je l’ai vu. Il était blanc comme la mort…

– Eh bien, mon compère, reprit-il tout haut, vous comprenez, n’est-ce pas ? Nous allons tous deux à Montfaucon, nous trouvons Tristan, nous l’aidons à dépendre Marigny, et, la besogne achevée, nous lui demandons de nous conduire au trésor, et nous emplissons nos poches.

– Il refusera ! balbutia Capeluche.

– Alors, vous lui passez au cou le nœud coulant d’une bonne corde que vous aurez apportée ; je vous garantis que, quand il sentira le nœud se serrer sur sa gorge, il nous mènera partout où nous voudrons.

– Par le sang de Dieu ! grogna Capeluche.

– Hein ? qu’en dites-vous, compère ?

– Je dis… Ah ! tripes du diable !… Il faut que je vous embrasse ! »

Capeluche serra dans ses bras Bigorne, qui sentit ses cheveux se hérisser, mais demeura stoïque.

« Compère, ajouta Capeluche, si vous devez être pendu, comptez sur moi pour avoir une corde neuve et un prêtre, quand je devrais payer corde et prêtre de mes deniers !

– Bon ! fit Bigorne, tout frissonnant. Vous connaissez le cabaret de La Bonne-Futaille, au pied du mont Faucon ?

– J’y ai régalé mes aides, tout à l’heure.

– Eh bien, je vous attendrai là. Venez à la nuit tombante et n’oubliez pas d’apporter une corde.

– Soyez tranquille ! » fit Capeluche, en éclatant de rire.

Lorsque Bigorne se trouva dehors, lorsqu’il fut sorti du lacis de ruelles qui environnaient le Châtelet, il faillit se trouver mal. Mais, surmontant cette faiblesse, il entra dans une taverne où il se mit à boire et à manger pour se remettre, et, d’ailleurs, il avait grand-faim.

Au moment où approcha l’heure de la fermeture des portes, il gagna la porte aux Peintres, sortit de Paris et se dirigea vers le cabaret, où il trouva Guillaume Bourrasque et Buridan qui l’attendaient.

À voix basse, il leur expliqua minutieusement son plan.

Il paraît que ce plan amusa fort Guillaume, car il se mit à rire, d’un rire terrible.

« Allons ! » fit Buridan.

Il sortit, accompagné de Bourrasque, et tous deux regagnèrent les hauteurs. Quant à Bigorne, il était resté dans le misérable cabaret, et attendait.

La nuit vint…

Capeluche parut. Bigorne se leva aussitôt, alla à lui, le prit par le bras et l’entraîna en lui disant :

« Hâtons-nous. Vous avez la corde ? »

Capeluche écarta son manteau et montra une corde qu’il portait enroulée à son bras.

Les deux hommes se mirent en route. Capeluche regarda le ciel et dit :

« Une belle nuit, pour mourir !…

– Oui », répondit Bigorne.

Ils ne dirent plus rien et hâtèrent le pas vers le gibet, qui se dessinait en noir sur noir à mesure qu’ils approchaient ; Bigorne paraissait résolu. Capeluche frissonnait.

« Pourvu qu’il soit là ! murmura-t-il.

– Soyez tranquille, il y est ; le voici !… »

En effet, une ombre venait de surgir à quelques pas et s’avançait vers les deux hommes. C’était Tristan. Il dit :

« Soyez remerciés, chrétiens qui venez m’aider à une œuvre chrétienne.

– Le bon chrétien que j’ai amené avec moi s’y connaît, maître Tristan ; soyez tranquille ; à lui seul, il va dépendre le pauvre Marigny sans lui faire de mal.

– Je m’en charge ! » dit Capeluche.

Tous les trois marchèrent à l’escalier que Marigny avait gravi dans la matinée et atteignirent la plate-forme ; l’instant d’après, ils étaient sous le corps de Marigny qui se balançait dans le vide, au-dessus de leurs têtes.

« Passez-moi votre corde, elle vous gênerait », souffla Bigorne à Capeluche.

Il s’élança le long du pilier, s’accrochant aux chaînes, et disparut, en haut, dans les ténèbres. Un instant plus tard, on entendit sa voix. De la poutre où il était assis, il criait :

« Attention, soutenez le corps, je coupe la corde…

– Hi han ! » fit Bigorne.

Aussitôt deux hommes surgirent d’entre les piliers et vinrent se placer près de Bigorne et de Tristan. C’étaient Buridan et Guillaume Bourrasque…

Dans le même instant, le corps de Marigny tomba et fut soutenu, puis déposé sur les dalles de la plate-forme. En haut, ils entendaient un bruit de chaînes. C’était Capeluche qui descendait. Bientôt il sauta en disant :

« Là ! portons-le maintenant à… holà ! holà !… »

Il eut un rugissement terrible et essaya de bondir : Bigorne venait de lui jeter autour du cou la corde que Capeluche avait apportée lui-même.

Une minute plus tard, Capeluche était hissé ; il eut quelques secousses nerveuses ; puis, doucement et mollement, son cadavre se balança à la place de celui de Marigny.

« Il nous a trahi, dit Buridan d’une voix sourde. Il nous avait juré sur la croix que Marigny ne serait pas pendu ; c’est pourquoi nous l’avons puni. »

*

* *

Alors Bigorne enleva au cadavre de Marigny sa chemise et la cagoule qui couvrait sa tête ; puis, de nouveau, tandis que ses compagnons demeuraient absorbés dans une rêverie affreuse, il grimpa en chantant… Au bout d’une demi-heure, il descendit.

« C’est fait ! » dit-il simplement.

Qu’est-ce qui était fait ?… Bigorne avait complètement dépouillé le corps de Capeluche ; il lui avait arraché tous ses vêtements en les déchirant avec son poignard, puis lui avait passé la chemise et la cagoule !…

En sorte que le lendemain et les jours suivants pendant lesquels ce fut un but de promenade et de distraction pour les Parisiens que d’aller voir Enguerrand de Marigny pendu aux fourches de Montfaucon, nul ne s’avisa d’imaginer que, si le pendu y était toujours, ce n’était plus le sire de Marigny.

Marigny avait été enterré dans la fosse que Tristan avait préparée. Le vieux serviteur avait proprement enveloppé le corps dans un linceul qu’il avait apporté, de façon qu’il ne fût pas souillé par la terre.

Ces derniers soins accomplis en bonne et due forme, Tristan s’éloigna, bien triste assurément, mais rassuré sur le sort qui attendait le défunt. La petite troupe descendit jusqu’aux chaumières et attendit dans le cabaret de La Bonne-Futaille que le jour leur permit de rentrer dans Paris. Lorsque les portes s’ouvrirent, Buridan se dirigea vers la Courtille, où l’on retrouva Riquet qui montait bonne garde.

« Venez avec nous, dit Buridan à Tristan ; sous peu de jours, nous quitterons Paris où vous n’avez plus rien à faire, où vous risquez vous-même d’être pendu ; plus tard, vous rentrerez dans Paris, comme j’espère y rentrer moi-même, car je veux être docteur. »

Tristan réfléchissait à la proposition que venait de lui faire Buridan.

« Eh bien, soit, dit-il, je vous suivrai hors Paris ! mais j’ai à rassembler quelques menus objets auxquels je tiens ; sous deux ou trois jours, je vous rejoindrai ici.

– Non, dit Buridan ; dès que vous serez en état de partir, rendez-vous au Roule, où vous trouverez la fille du malheureux Marigny, et attendez-nous là. Si vous le croyez utile, mettez-la au courant de la mort de son père, car, moi, je n’en aurais pas le courage…

– Je m’en charge », dit Tristan.

Et il quitta la Courtille-aux-Roses, en faisant signe à Bigorne de le suivre. Bigorne, d’ailleurs, s’apprêtait lui-même à sortir. Il suivit donc Tristan, mais, avant de s’en aller, il confia à ses compagnons qu’il ne rentrerait pas avant le lendemain ou peut-être le surlendemain.

Buridan demeura avec Guillaume et Riquet.

« Eh bien, fit Guillaume, partons-nous cette fois ? As-tu quelque autre Marigny à essayer de sauver ?

– Il y a Gautier, dit Buridan. Moi, je vous déclare que je ne m’en irai pas que je ne l’aie tiré de prison ou que je l’aie vu mort…

– Pauvre Philippe ! sanglota Guillaume Bourrasque.

– Oui, fit Riquet, c’était un joli gentilhomme, bien qu’il supportât le vin beaucoup moins que Gautier. Allons, Buridan, console-toi, nous ferons comme toi, nous ne nous en irons pas avant d’avoir vu le pauvre Gautier se balancer au bout d’une corde… »

Lancelot Bigorne avait rejoint Tristan, qui s’éloignait sans hâte et paraissait tout absorbé dans sa douleur.

« Holà ! mon digne compère, fit Bigorne, où me conduisez-vous ? Je vous préviens que j’ai un travail fort pressé, qui ne souffre aucun retard. »

Quel travail avait à accomplir Bigorne ? Nous le verrons à l’œuvre.

« Savez-vous, dit Tristan, qu’il y a deux hommes auxquels j’avais, ce matin, voué une haine terrible ?…

– Bon, et quels sont ces deux hommes ? Mais, je vous préviens…

– Patience ! dit Tristan. L’un de ces deux hommes est le comte de Valois, qui a fait pendre mon maître.

– Ah ! ah ! fit Bigorne.

– Oui. Et l’autre, c’est, ou plutôt c’était Capeluche, qui a pendu mon maître.

– Celui-là a payé. N’en parlons plus.

– Oui, fit Tristan, il a payé, grâce à vous, maître Bigorne… C’est pourquoi je vous ai parlé de m’accompagner. Ne me demandez rien. Venez et vous verrez… »

Bigorne, pensif, se laissa conduire par Tristan.

Ils arrivèrent rue Saint-Martin et s’arrêtèrent à un endroit de la rue qui était éventré ; là s’était élevée une belle forteresse, bien close de murs crénelés, bien entourée de son fossé. Il n’y avait plus rien. Murs, forteresse, bâtiments, tout avait été démoli.

« Voilà ce qui reste de l’hôtel Marigny ! » dit Bigorne.

Mais Tristan ne répondit pas. Une centaine de pas plus loin, il entra dans cet humble logis inhabité et même mal famé pour le voisinage, où nous avons déjà vu le serviteur du ministre le jour où ce dernier fut arrêté.

Tristan alluma une torche, descendit un escalier, parvint à un caveau, déblaya une partie du sable qui recouvrait le sol, souleva une trappe et descendit encore un escalier, toujours suivi de Bigorne. Là, dans ce deuxième caveau, Tristan saisit une pioche et se mit à frapper contre le mur, qui paraissait fait d’énormes pierres cimentées.

À la stupéfaction de Bigorne, le mur, sous les coups de pioche, s’écailla ; cette apparence de pierres et de ciment tomba et un énorme coffre de fer, scellé dans l’épaisseur des fondations, apparut. Tristan ouvrit ce coffre ; il était rempli de sacs, méthodiquement rangés.

Tristan souleva un de ces sacs et l’ouvrit en coupant avec son poignard la cordelette qui le liait. Il s’en échappa une pluie de pièces d’or.

Bigorne ouvrait des yeux hagards et pantelait.

« Oh ! bégaya-t-il, rien que dans ce sac, il y a peut-être trois cents écus d’or !…

– Mille ducats d’or, dit gravement Tristan, c’est-à-dire une fortune dont se contenterait plus d’un gentilhomme de la cour du roi. Aidez-moi, Bigorne. »

Tristan se mit à, entasser dans le sac les pièces d’or qui s’en étaient échappées. Bigorne l’aidait en tremblant et en soupirant :

« Dire qu’avec la dixième partie de ce qu’il y a là, je serais riche !… »

Tristan referma le sac, le souleva, le posa dans les bras de Bigorne et dit simplement :

« Ce sac est à vous !… »

Bigorne chancela. Le sac lui échappa. Il porta les mains à son front.

« Eh bien ? fit Tristan, qui ne put s’empêcher de rire.

– Eh bien, compère, rendez-moi un service. Puisque vous devez nous rejoindre au Roule, gardez-moi jusque-là ces beaux ducats. Vous me les apporterez là-bas, et alors il sera trop tard pour qu’une nouvelle idée de Buridan me réduise à manger du foin ou des chardons comme lui. Je ne suis pas un âne, moi, que diable !

– Je vous le promets ! » dit Tristan.

Les deux hommes remontèrent en haut.

« Et vous disiez donc ? reprit alors Bigorne.

– Je ne disais rien, fit Tristan, redevenu sombre.

– Si fait, compère, vous disiez qu’il existait par le monde deux hommes auxquels vous vouliez le mal de mort. Le premier, c’était Capeluche, et celui-là est payé ; moi aussi. Le deuxième, c’était Valois ; et celui-là n’a pas encore payé. »

Tristan leva sur Bigorne un regard qui s’éclaira alors.

« Est-ce que vous auriez la pensée de m’aider ?…

– À vous venger de Valois ?… Oui. »

Alors, il y eut entre Bigorne et Tristan une longue conversation, ou, pour mieux dire, ce fut un monologue de Bigorne, que Tristan, parfois, approuvait d’un signe de tête.

« Ainsi, dit Bigorne, en achevant, si vous réussissez, vous le conduisez jusqu’à la porte ?

– Oui ! dit Tristan, qui frissonna.

– Vous le laissez entrer ; puis vous tirez au-dehors la porte sur vous ?

– J’ai compris…

– Bon ! Et alors, vous allez rejoindre Buridan au Roule. Le reste me regarde. »

Sur ces mots, les deux hommes se séparèrent pour s’occuper de la besogne que chacun s’était assignée. Or, cette besogne, Bigorne n’en avait expliqué qu’une partie à Tristan. La manœuvre qu’il méditait se divisait en deux manœuvres successives. Tristan connaissait la deuxième, à laquelle il devait collaborer. Quant à la première, Bigorne la lui laissait ignorer, redoutant peut-être que le serviteur de Marigny refusât son concours et même s’y opposât.

C’est cette dernière manœuvre que nous allons voir se dessiner ici.

En sortant de la rue Saint-Martin, Lancelot Bigorne se rendit dans la rue aux Sorciers. Ces sorciers étaient des guérisseurs.

Ce fut chez un de ces sorciers que se rendit Lancelot Bigorne. Il aborda courageusement le monstre, c’est-à-dire le sorcier : c’était un homme d’une cinquantaine d’années, à l’œil doux, à la bouche grave, d’une mine, en somme, plutôt rassurante, et pourvu d’une belle barbe ondoyante.

« Voilà, dit-il, un homme est mort ce matin ; pouvez-vous le faire vivre pour quelques jours ?

– Non, dit le sorcier. Mais de quoi est mort cet homme ?

– Diable ! diable ! fit Lancelot, stupéfait. Ainsi, vous ne pouvez pas rendre la vie à un cadavre pour quelques malheureux jours, une semaine au plus ?

– Non. Mais dites-moi de quoi est mort votre homme. A-t-il succombé à quelqu’une de ces maladies qui décomposent un mort et défigurent un visage aussitôt après et même avant la mort ?

– Il est trépassé d’avoir eu autour du cou un fil de chanvre qui l’a trop serré. Voilà sa maladie.

– Vous voulez parler d’Enguerrand de Marigny ?

– Ah ! vous êtes un vrai sorcier, vous qui devinez ainsi du premier coup de qui je viens vous parler !

– Vous me parlez d’un homme qui est mort ce matin et qui est mort pendu. Il faudrait que je fusse stupide pour ne pas deviner qu’il s’agit d’Enguerrand de Marigny.

– Tiens ! dit Bigorne.

– Mais laissons cela. Puisqu’il s’agit d’un homme qui est mort en pleine santé, je puis, non pas lui rendre la vie mais l’apparence de la vie.

– C’est tout ce qu’il faut ! dit avidement Bigorne.

– C’est bien ! Apportez-moi le cadavre et je le préparerai de façon que pendant des mois et des années, il aura l’apparence d’un vivant.

– Diable ! fit Bigorne. Il faut vous apporter le cadavre ? Vous ne pourriez pas opérer de loin, par enchantement ?

– Impossible. C’est ici même que doit se faire l’embau… je veux dire l’enchantement.

– Eh bien, soit, ce soir, à minuit, je serai ici avec le cadavre. »

Puis ils débattirent le prix. Le sorcier se montra modéré et se contenta de trois écus d’argent, que Bigorne lui versa séance tenante.

« Quelle aubaine ! songea le sorcier, lorsque Bigorne se fut retiré. Pouvoir étudier à mon aise le corps d’un Enguerrand de Marigny ! C’est moi qui les aurais plutôt donnés, les trois écus… Comment cet homme va-t-il s’y prendre pour décrocher le cadavre et l’apporter ici ?… Et que veut-il en faire ?… Bon, cela ne me regarde pas ! »

Quant à Bigorne, il se rendit tout droit chez un maraîcher qui cultivait un lopin de terre aux abords du Temple et il lui acheta la charrette qui lui servait à transporter ses légumes, et l’âne qui servait à tirer la charrette.

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