Le lendemain dans la matinée, Simon, aussi calme, aussi tranquille que si rien ne l’eût menacé, pénétrait de lui-même dans la chambre du comte de Valois, avec la belle assurance de la plus parfaite innocence, et cette quiétude absolue que donne, dit-on, une conscience sans reproches.
« Victoire, monseigneur, victoire !… j’apporte une heureuse nouvelle ! »
Simon Malingre comprit parfaitement ce qui se passait dans l’esprit de Valois et jouant le tout pour le tout :
« Allons ! dit-il avec un soupir, le moment fatal et douloureux est venu… je vois que mon maître doute de moi… je dois tout dire. »
Sur ces mots, il se mit humblement à genoux et baissant la tête avec une contrition admirablement jouée :
« Monseigneur, j’implore votre pardon ! »
Le comte tressaillit violemment et se penchant vers lui, le dévorant du regard :
« Mon pardon ? dit-il. Et de quoi ?
– Monseigneur, larmoya Simon en s’écrasant sur le parquet, je vous ai trompé…
– Ah ! misérable traître ! hurla le comte qui bondit en envoyant rouler derrière lui le fauteuil sur lequel il était assis, tu avoues enfin ?…
– J’ai dit, monseigneur, que je vous avais trompé. Je n’ai pas dit que je vous avais trahi. »
Alors Simon Malingre, à son tour, et en arrangeant à sa manière, mais en prenant un par un tous les faits que la vieille Gillonne avait présentés à sa charge et en les retournant à son profit, fit le récit complet de la manière dont il avait livré Myrtille à Buridan.
Cette fois, le comte était parfaitement convaincu de l’innocence de Simon. Il saisit une bourse pleine de pièces d’or et la lui donna en disant :
« Tiens ! prends ceci… c’est pour te faire oublier ma brusquerie de tout à l’heure, ajouta-t-il en souriant… mais si tu réussis, c’est dix bourses pareilles que je te donnerai. »
Avec une dextérité qui dénotait une grande habitude, Simon fit prestement disparaître la bourse, non sans l’avoir préalablement soupesée, ce qui amena chez lui une grimace de satisfaction.
« Maintenant, monseigneur, je vais repartir tout de suite en campagne ; comme je vous l’ai expliqué, je dois agir seul ; cependant, j’aurais besoin d’un aide ; je vous prierai de m’accorder votre femme de charge, Gillonne. »
Le comte fit appeler Gillonne.
On doit juger de sa stupeur en apercevant Malingre dans la chambre du comte et paraissant être plus en faveur que jamais.
« Dame Gillonne, je vous confie à Malingre pour quelques jours… obéissez-lui en tout ce qu’il vous commandera comme vous m’obéiriez à moi-même et songez que, suivant votre conduite en cette affaire, j’oublierai ou je châtierai la faute que vous avez commise hier soir.
– Là, fit Malingre gravement, j’avais bien dit qu’elle avait dû mécontenter monseigneur. Vous ne serez donc jamais sérieuse, Gillonne ? Vous pouvez lui pardonner, monseigneur, car je vous réponds qu’elle obéira et marchera au doigt et à l’œil. N’est-ce pas, Gillonne ?
– Sans doute, répondit Gillonne, mon devoir est d’obéir à monseigneur… Quant à ma faute, je tâcherai de la réparer. »
Sur ces mots, Valois les congédia tous deux après avoir conféré un instant à voix basse avec Malingre, ce dont Gillonne se montra très inquiète.