Le Royal de Beaurevers avait enjambé et sauté dans une chambre où se trouvaient deux femmes.
– Monseigneur, dit l’une d’elles, c’est là ! Elle montrait la porte de la chambre de Florise.
Florise parut. Beaurevers ne la vit pas. Il s’était penché sur la femme, lui tordait les poignets ; elle tombait à genoux.
– C’est toi qui as jeté l’échelle ? gronda Le Royal.
– Oui ! râla la gueuse. N’ai-je donc pas bien fait ?
Le Royal la traîna jusqu’à la fenêtre, et là :
– Écoute. Je ne te tue pas parce que tu es une femme. Mais tu vas t’en aller.
– Par où ? bégaya la femme, ivre de terreur.
– Par là ! dit Beaurevers. Tu as jeté l’échelle. Tu la descendras. Tant pis si tu te romps les os, ou tant mieux !
– Grâce ! rugit la drôlesse.
– Aimes-tu mieux que j’appelle le grand-prévôt ?
La femme se releva, se pencha, recula. Le Royal tira son poignard… Alors elle se décida. L’instant d’après, elle commençait à descendre, les yeux fermés, échelon par échelon. La gueuse atteignit le sol et se sauva. Le Royal haussa les épaules. Il marcha à l’autre femme qui gémissait d’épouvante.
– Tu as vu, hein !
– Oui ! Mais je n’ai rien fait, moi ! Je ne voulais pas !
– Qui vous a payées ?
– M. de Saint-André.
– Saint-André ! Roland de Saint-André, dis !
– Non. Le maréchal.
– Oui, je comprends. Le fils travaille pour son propre compte et le père pour le compte du roi. C’est bon. Ne pleure pas. Tu resteras, pour que tu puisses dire à quiconque voudrait recommencer que je suis là, moi, et que je veille.
Le Royal de Beaurevers se retourna alors et vit Florise. Il demeura immobile. Il chercha un geste à faire, un mot à dire, rien ne vint. Florise, un peu pâle, les yeux baissés, trouva, elle ! Elle désigna d’un geste cette chambre de jeune fille où pas un homme, hormis le père, n’avait jamais risqué un regard, et elle dit :
– Venez !…
Beaurevers entra. Il ne savait s’il rêvait… Florise poussa la porte !…
Un moment, ils demeurèrent debout l’un devant l’autre. Entre eux, il y avait une chaise : simple hasard. Tant que Beaurevers resta là, cette chaise demeura entre eux.
Florise avait fermé la fenêtre et rallumé les flambeaux. Florise, d’une voix à peine oppressée, parla la première :
– Monsieur, je dois vous remercier. J’ai vu la bataille en bas. Sans vous, j’étais perdue, je le sais.
Et, doucement, avec une admiration passionnée, elle répéta :
– J’ai vu les batailles là-bas, à l’auberge de Melun, puis ici, dans la cour de l’hôtel, puis ce soir, sous ces murs.
– Mademoiselle, ne croyez à rien de mal de ma part. Pourquoi j’étais sous vos fenêtres ? C’est le hasard. Et puis, j’ai vu des gens. J’ai attaqué, pensant que c’était à vous qu’on en voulait. J’ai eu tort de monter jusque chez vous. Mais il fallait que je vous prévienne de prendre garde.
– Si vous n’étiez pas venu, dit Florise, je vous eusse cherché. Vous aussi, vous devez prendre garde. On veut vous tuer.
– Qui ? demanda Beaurevers.
– Mon père ! répondit-elle en frissonnant.
Ses jolies mains s’unirent dans un geste de supplication… elle revoyait l’abominable vision, la potence monstrueuse.
– Jurez-moi, dit-elle exaltée, jurez-moi de veiller sur vous.
– Oui, dit Beaurevers, je veillerai, mais si vous me promettez de vous défendre. Car s’il vous arrivait malheur, j’irais trouver le grand-prévôt et je lui dirais : Me voici.
Il s’était agenouillé pour dire cela. Florise couvrit ses yeux de sa main, et elle dit :
– Si le jour de votre mort se levait, fût-ce au pied de l’échafaud, je jure de mourir en même temps que vous…
Ils demeurèrent palpitants, écrasés de bonheur. Et ce fut leur déclaration d’amour.
Le Royal de Beaurevers se retrouva dans l’antichambre. Leurs mains ne s’étaient même pas touchées. La femme était toujours là, muette, effarée.
– Lorsque je serai en bas, lui dit Beaurevers, tu décrocheras l’échelle et la laisseras tomber pour qu’elle ne serve plus.
Pas même à lui !… mais il n’y songeait pas. Il descendit. Lorsqu’il fut arrivé, la femme obéit à l’ordre. L’échelle vint en bas. Il la roula et s’en alla vers la Seine. Là, il y attacha quelques grosses pierres et jeta le tout dans le fleuve. Puis il s’assit, la tête dans les deux mains, se mit à rêver. Quand il se réveilla, il faisait grand jour. Il se leva et se dirigea vers la Cité. En route, il se ravisa, obliqua à droite ; un quart d’heure plus tard, il entrait dans l’hôtel de Nostradamus.