Beaurevers devait être exécuté à neuf heures du matin. La veille, vers dix heures du soir, Nostradamus se présenta au Louvre.
– On ne passe pas ! lui dit l’officier de garde.
– Pas même moi ? demanda Nostradamus.
– Surtout vous, messire. La reine a donné des ordres.
– Il faut que je la voie… Il y va de son intérêt…
– La reine prie. Éloignez-vous, ou je vous fais arrêter.
Nostradamus jeta un coup d’œil désespéré sur les cours encombrées de soldats, d’officiers, de gentilshommes.
Des forces imposantes avaient été en hâte rassemblées au Louvre – pour rendre à la dépouille du roi les honneurs funèbres, disait-on – en réalité pour mettre le château à l’abri d’un coup de main très possible de la part des Guise.
Dans la chambre funéraire, Henri II reposait sur un lit de parade. Dans une salle voisine, l’archevêque de Paris récitait les prières des morts. Autour du lit, douze gentilshommes montaient la garde.
On ne voyait pas Catherine. On la disait en prières.
La vérité, là encore, était ignorée. Avec une prodigieuse activité, Catherine organisait cette véritable régence, qui allait commencer sous le nom de règne de François II. Dans ces vêtements de deuil qu’elle ne devait jamais quitter, elle était entourée d’une douzaine de conseillers, dont le cardinal de Lorraine et le duc de Guise avaient été soigneusement exclus. Le connétable de Montmorency avait mis son épée au service du nouveau roi, c’est-à-dire de Catherine. Quant au maréchal de Saint-André, il avait disparu…
À cette conférence assistait, pour la forme, le jeune roi François II. Sa mère, de temps à autre, passant dans sa chambre, saisissait dans ses bras son fils Henri, qu’elle embrassait avec passion et à qui elle murmurait :
– Tu seras roi !… Toutes les prédictions de Nostradamus se réalisent. Pourquoi celle-ci ne se réaliserait-elle pas ?…
Puis elle disait à quatre hommes assemblés là.
– Vous avez juré de ne pas le quitter une minute…
– Nous avons juré sur notre âme, bien mieux : sur saint Pancrace ! Ne craignez rien, nous veillons !
– Vous tueriez tout ce qui voudrait approcher de mon fils…
– Eh ! vivadiou ! répondait l’un des quatre, celui qui franchira cette porte est mort d’avance, té !…
– Vous avez juré de mourir pour mon fils s’il le faut…
– On mourra, per Dio santo, on mourra, madame !
– Ya ! faisait le quatrième en roulant des yeux terribles.
La reine, alors, rassurée, s’en allait reprendre sa conférence. Tous quatre avaient une mine lugubre et, parfois, Strapafar traduisait leurs sentiments en murmurant :
– Lou pauvre pigeoun !…
Nostradamus n’insista pas pour entrer au Louvre. Pourtant, il voulait voir la reine. Il savait pourtant que rien n’ébranlerait Catherine de Médicis. Le Royal de Beaurevers savait que le jeune prince Henri n’était pas un fils légitime du feu roi. Cela condamnait le jeune homme.
Ainsi, donc, Nostradamus n’aurait retrouvé femme et fils que pour les perdre ensemble. Son cœur saignait. Il avait essayé d’entreprendre quelque suggestion à distance sur la reine. Mais sans forces, il avait pleuré des larmes impuissantes…
Et c’est alors qu’il s’était rendu au Louvre pour menacer, supplier, réussir peut-être de près ce qu’il n’avait pu réussir à distance… Catherine de Médicis, en donnant l’ordre de ne pas laisser entrer le devin au Louvre, avait déjoué cette tentative, sans le vouloir, d’ailleurs. Car elle n’obéissait qu’à une pensée superstitieuse qui lui conseillait de ne pas laisser en ce moment Nostradamus approcher de son fils Henri.
Un instant, Nostradamus songea à en finir, à se tuer là…
Puis, secouant la tête :
– Il sera temps de me tuer quand j’aurai vu mourir mon fils !…
Son fils !… Cette pensée dominait tout, même cet immense amour qui se réveillait dans son cœur, décuplé par l’amour même de Marie !… Et, pour elle aussi, tout se résumait en ce mot : Sauver son fils !
Il n’y avait plus que douze heures pour arriver au moment où Le Royal devait être exécuté. L’officier, avec étonnement, le vit pleurer…
– C’est fini ! râla Nostradamus.
Et il allait s’en aller. À ce moment, une pensée soudaine traversa son esprit… Il saisit ses tablettes et écrivit :
« Madame, j’ai vainement essayé de parvenir jusqu’à vous. Voici ce que je voulais vous dire : il est indispensable que vous assistiez à l’exécution de demain matin. J’y assisterai aussi. Il y va du bonheur de votre fils…
« NOSTRADAMUS. »
Nostradamus n’avait écrit ces lignes que pour s’assurer la possibilité d’approcher de Catherine. Mais lorsqu’il eut écrit, il répéta machinalement les derniers mots : il y va du bonheur de votre fils…
– Son fils ! murmura-t-il… Oh ! quelle pensée me vient là !… Djinno ! Est-ce toi… qui me l’envoies ?
Il remit le billet à l’officier, et lui dit :
– Si vous tenez à votre tête, que ceci parvienne à Sa Majesté…
– La reine aura votre dépêche dans deux minutes.
Nostradamus regagna la rue de la Tisseranderie. Il appela :
– Myrta !…
Une heure plus tard à la suite d’un long entretien avec Nostradamus, Myrta sortit du logis…