II LA FIANCÉE DU CONDAMNÉ

En cette même nuit, une scène terrible se déroulait en l’hôtel de la grande-prévôté.

Vers onze heures du soir, Roncherolles était monté jusqu’à l’appartement de sa fille, comme il faisait tous les soirs depuis que Florise, ramenée à Paris par Beaurevers, était venue le retrouver. Quatre hommes armés veillaient nuit et jour à la porte de cet appartement. Dans l’appartement, c’étaient quatre femmes qui ne perdaient pas de vue un seul instant la jeune fille. Les fenêtres étaient condamnées. Les portes étaient fermées…

– Mon père ! Il est prisonnier ! Il faut le sauver !…

Tels avaient été les premiers mots de Florise, lorsque, partie de la rue de la Tisseranderie, elle était accourue à la grande-prévôté. La joie de Roncherolles en voyant entrer sa fille, était tombée du coup.

– Sauver qui ? gronda-t-il, le cœur serré de soupçons.

– Celui qui, une fois encore, vient de me sauver moi-même : Le Royal de Beaurevers.

Florise, à travers ses sanglots, raconta ce qui s’était passé à Pierrefonds…

Le grand-prévôt écouta en silence le récit fiévreux. Quand Florise eut terminé, il lui dit froidement :

– Il sera condamné. La reine seule peut faire grâce…

– J’irai la trouver, je me mettrai à ses pieds, je…

– Vous ne sortirez pas d’ici ! Et d’ailleurs, si la reine faisait grâce à cet homme, je le poignarderais de mes mains.

Florise s’évanouit. Roncherolles résista. Il ne saisit pas sa fille pour la consoler, comme il en éprouvait l’envie mais il s’en alla en se disant :

– Il faut tenir bon. Oui, au risque de la rendre malheureuse pour quelque temps, il faut que je la sauve d’elle-même…

Deux ou trois jours s’écoulèrent. Et alors Roncherolles en arriva à se dire : Au risque de la tuer !…

En effet, l’attitude de Florise ne changeait pas. Seulement, elle ne priait plus Roncherolles de sauver Beaurevers, elle le suppliait seulement de la laisser sortir. Son amour, maintenant, elle le proclamait en verbes d’éclatante passion.

– Un truand ! grinçait Roncherolles. Vous aimez un truand !

– Le plus généreux des gentilshommes !… répondit Florise.

Un travail, cependant se faisait dans son esprit. L’amour filial qui était en elle s’émiettait, s’évanouissait… Roncherolles n’était plus son père : ce n’était plus qu’un ennemi. Une nuit, le grand-prévôt entra chez elle en disant :

– Il est condamné. Après-demain, il aura la tête tranchée.

Florise ne pleura pas. Seulement, elle devint blanche et prononça :

– On l’assassine. C’est vous l’assassin. Vous me faites horreur !

Il sortit, chancelant. Mais sa haine contre Beaurevers se décupla. Ce fut une sorte de rage qui s’empara de lui… Et le jour qui précéda l’exécution, le grand-prévôt se disait :

– Que ma fille meure ! Et moi-même, alors, je disparaîtrai !

C’est dans cet état d’esprit confinant à la folie que Roncherolles, en cette nuit, rendit la dernière visite à sa fille.

Il entra chez Florise comme onze heures venaient de sonner. Des quatre surveillantes, deux veillaient dans la chambre de la jeune fille. Roncherolles trouva Florise plus calme que les jours précédents. Il l’examina et comprit que cet apaisement funèbre venait de quelque résolution mortelle. Elle dit :

– C’est pour demain ?…

– Dix heures encore, dit-il, et la tête du truand tombera.

– En dix heures, fit-elle, vous pouvez réparer le crime.

– Le crime ! tonna Roncherolles. Quel crime !

– Le vôtre !… En dix heures, vous pouvez sauver votre victime. Si vous le sauvez, vous me sauvez aussi. Nous partirons tous les trois, lui, vous et moi, loin de Paris, et je vous ferai une existence de bonheur…

– Il entendra la messe à Saint-Germain-l’Auxerrois, reprit Roncherolles, livide. Puis il sera décapité. Si j’étais le maître je le pendrais. La reine le ménage… Pourquoi ?

Florise frissonna, et, lentement, sans colère :

– Au moment de mourir, entendez-vous, je vous maudis. Lorsque vous songerez à moi, c’est cette malédiction de mourante, tuée par vous, que vous entendrez…

Elle alla appuyer son front aux vitres de la fenêtre.

– Si je pouvais le revoir une fois encore ! murmura-t-elle.

De ses yeux sanglants, Roncherolles la considérait. Il s’avança de quelques pas… Florise se retourna et le vit le poignard à la main. Elle poussa un cri de joie affreuse :

– Frappez ! Épargnez-moi l’horreur de ces dernières heures !

Roncherolles jeta son poignard. Sa pensée s’effondra.

– Te tuer ! Non ! Je te chasse !… Va mourir avec le truand !… Hors d’ici, ribaude !…

Il ouvrait les portes toutes grandes. Ses gardes, ses officiers, assistèrent avec stupeur à ce spectacle du grand-prévôt descendant les escaliers en hurlant :

– Hors d’ici l’amante du truand ! Hors d’ici la ribaude !…

Florise descendait… Le grand portail fut ouvert… Florise le franchit…

Roncherolles s’affaissa, les poings tendus.

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