I LA BAUGE DU SANGLIER

Henri II s’était laissé entraîner par les quatre spadassins. Il vivait dans la stupeur de l’événement fantastique : un roi prisonnier !… Prisonnier d’un truand ! À deux pas du Louvre ! En arrivant rue Calandre, il cessa de songer à cela.

– Je suis venu dans cette rue une fois, songea Henri. Quand ? Il y a bien longtemps, sans doute. Pourquoi ?…

Et, en entrant dans le sinistre galetas, il se ressouvint. L’image de cette chambre où il n’était venu qu’une fois dans sa vie, dormait dans son esprit. Il comprit que jamais il n’avait oublié cette chambre !… C’est là !… Oui, c’est là que jadis, lui prince, lui fils de roi, était venu trouver le bravo à qui il avait dit :

– Si la mère n’est pas rue de la Hache à minuit, tu attendras jusqu’à une heure. Et alors il faut que l’enfant meure !…

La mère n’était pas venue au rendez-vous. L’enfant était mort ; le bravo le lui avait assuré. Il revit l’enfant tel qu’au moment où dans le cachot du Temple il l’avait arraché à la mère. Alors le prince Henri n’avait pas eu peur de ces cris d’un enfant. Maintenant, vingt-deux ans plus tard, il frissonna.

Il essuya son front, et murmura :

– L’enfant est mort…

Les quatre estafiers en entendant cette voix funèbre, ces étranges paroles, eurent un frémissement.

– L’enfant est mort ? fit Trinquemaille effaré.

– Ah çà ! on tue donc des enfants, ici ? grogna Strapafar.

Henri se remettait. Il toisa les quatre sacripants, et dit :

– Est-ce que ce logis n’a pas été habité par un routier qu’on nommait Brabant-le-Brabançon ? L’avez-vous connu ?

– Si nous l’avons connu ! fit Strapafar. C’était un brave, sous ses ordres, nous n’avons jamais chômé ni jeûné.

– Qu’est-il devenu ? demanda avidement Henri.

– Il est mort ! dit Corpidobale.

Henri eut un soupir de soulagement. Bouracan ajouta :

– Mort. Comme l’enfant !

– Quel enfant ! hurla le roi qui se sentait blêmir.

– Mais l’enfant dont parlait votre Seigneurie.

– C’est bon, gronda Henri. Répondez : Qui est le coquin à qui j’ai eu affaire et auquel vous obéissez, truands !

Les quatre se jetèrent un long regard.

– Monsieur, fit doucement Trinquemaille, je dois vous prévenir que nous sommes gentilshommes. Il suit de là, que vous êtes plongé dans la plus pitoyable erreur en nous traitant de truands. Quant à lui ! ne l’appelez plus coquin devant moi ; car je serais forcé de vous couper la gorge sans savoir si vous êtes en état de grâce.

Henri vit quatre dagues qui sortirent à demi de leurs fourreaux. Il était brave, répétons-le. Mais ces quatre sinistres figures, ces quatre lames lui donnèrent à réfléchir.

– De vous dire qui il est, reprit Trinquemaille, ce serait une belle histoire à raconter devant une noble assemblée de preux. Vous l’avez vu à l’œuvre, dites ? Eh bien ! dix fois, moi qui vous parle, je l’ai vu faire mieux. Pour une chiquenaude, chacun de nous tuerait son homme. Mais lui, il peut rouler du tambour sur nos crânes, s’il veut. Nos crânes sont à lui. Il nous a sauvé la vie à chacun deux ou trois fois, on ne compte plus ! Lui, mort du diable, c’est lui !…

– La plus belle lame du monde ! cria Corpodibale.

– Ya ! rugit Bouracan. Notre maître !

– C’est lou pigeoun ! fit Strapafar en s’essuyant les yeux.

– Le Royal de Beaurevers ! dit Trinquemaille.

Henri, sombre, la rage au cœur, écoutait tout cela.

– Le Royal de Beaurevers ! fit-il. Qu’est-ce que cela ?

– C’est l’enfant, dit Bouracan avec innocence, sans savoir. Henri courba l’échine et murmura, effaré :

– L’enfant !… L’enfant est mort !…

– Bien parlé Bouracan, fit Trinquemaille, c’est notre enfant !…

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