I UN LOGIS POUR FLORISE

À Villers-Cotterets, Florise put se reposer une heure chez une certaine dame de Touranges à qui le grand-prévôt avait rendu d’importants services. La dame, était reconnaissante : elle ne fit aucune question à la jeune fille sur ce qu’elle voyait d’étrange en toute cette rencontre. Elle se contenta de mettre ses armoires à sa disposition ; puis, lorsque Florise se fut habillée, lorsqu’elle témoigna le désir de partir, la bonne vieille fit atteler sa chaise de voyage.

À midi, la chaise escortée par Le Royal de Beaurevers franchissait la porte Saint-Denis. Florise avait dit : Conduisez-moi à mon père. Le Royal prit le chemin de la Grande-Prévôté. Il ne lui vint pas à l’idée qu’il risquait la mort. Il songeait seulement qu’il allait être séparé de Florise. Lors même qu’il eût été sûr de trouver un échafaud dans la cour de Roncherolles, il y fut allé : Florise l’avait dit.

Devant l’hôtel Roncherolles, la chaise s’arrêta. Il mit pied à terre. Florise trembla. Son cœur criait : « N’y va pas, c’est ta mort ! » Mais elle était de ces filles vaillantes qui savent regarder en face le danger. Seulement, si son père n’accueillait pas Beaurevers en père, elle était prête à mourir avec lui.

– Messieurs, dit Beaurevers en saluant les deux gardes du porche, je désire parler à M. le grand-prévôt.

– Il n’y a plus de grand-prévôt, répondit l’un d’eux.

– Le roi n’a encore désigné personne pour remplacer le seigneur de Roncherolles, dit l’autre garde.

– Mais le baron de Roncherolles… balbutia Beaurevers.

– Il loge au Châtelet. Allez l’y demander.

– Arrêté ! fit Beaurevers dans un grondement d’espoir.

Un cri, derrière lui, étrangla cette joie. Florise avait entendu !… Florise tremblait, car elle savait bien que la prison du Châtelet n’était que l’antichambre de la mort ! Le Royal de Beaurevers la considéra un instant, bouleversé. Un rude combat se livrait en lui. Enfin, il s’approcha de la chaise :

– Vous avez entendu ?…

– Mon père est perdu ! bégaya Florise. Quand on enferme un grand-prévôt au Châtelet, c’est pour l’y oublier à jamais. Ou, s’il en sort, c’est pour marcher à l’échafaud.

– Le grand-prévôt n’ira pas à l’échafaud et ne restera pas au Châtelet, dit Beaurevers.

– Et qui l’en fera sortir ? haleta Florise.

– Moi. Dans huit jours, votre père sera délivré. Je le jure.

– Je vous crois ! murmura-t-elle.

– Si je meurs en cette tentative, rugit en lui-même Beaurevers, je mourrai avec le paradis dans le cœur !

Florise abaissa un regard sur son amant en murmurant :

– C’est péché mortel, mon Dieu ! Entre mon père et lui… C’est lui que je choisis !… Je l’empêcherai d’aller au Châtelet… ou, s’il y va… eh bien ! nous irons ensemble !

– En attendant que je vous rende votre père, dit le jeune homme, voulez-vous de la mère que je vais vous choisir ?

– Votre mère ? demanda Florise.

– Non. Je n’ai ni père, ni mère, ni famille.

– Où voulez-vous me conduire ? reprit-elle.

– Chez une femme que je ne connais pas. Mais cette inconnue a pour moi un cœur de mère et elle aimera tout ce que j’aime.

– Partout où vous me conduirez, dit-elle avec l’adorable dignité de l’innocente, je sais que je serai en sûreté…

Il se remit en selle et la chaise le suivit. Bientôt, ils s’arrêtèrent rue de la Tisseranderie, devant le logis de la Dame sans nom. C’est chez Marie de Croixmart que Le Royal de Beaurevers conduisait la fille de Roncherolles.

Là, Beaurevers s’arrêta et donna la main à Florise pour la faire descendre de la chaise. Puis la chaise reprit le chemin de Villers-Cotterets. La porte du logis s’ouvrit avant que Le Royal eût frappé.

– Myrta ! s’écria Le Royal. Toi ici !…

– On vous a vu d’en haut, dit Myrta après un rapide coup d’œil à Florise, et on m’a ordonné d’ouvrir.

Et Myrta soupira. La présence de Florise, c’était pour elle la fin d’un rêve…

La porte s’était refermée. Florise ayant levé les yeux, vit au haut de l’escalier une femme… avec un de ces visages livides qu’ont seules les mortes. La jeune fille eut un cri. Elle se serra contre Beaurevers.

– Cette femme, balbutia-t-elle, cette femme… là… j’ai peur comme jamais… jamais je n’ai eu peur…

– C’est la mère, dont je vous ai parlé : elle veillera sur vous.

Il donna la main à Florise, et ensemble ils montèrent.

– Madame, dit Beaurevers, vous m’avez assuré que près de vous, quoi qu’il m’arrivât, je trouverais aide et protection.

– Oui, mon enfant, dit la Dame sans nom, qui considérait Florise avec une étrange attention.

Et c’était un peu le regard qu’ont les mères quand, pour la première fois, elles voient celle qui est aimée de leur fils. Regard d’anxiété et toujours, au fond, de jalousie maternelle : la seule jalousie, peut-être, qui soit digne de respect.

– Madame, disait Beaurevers, ce que vous feriez pour moi et j’ai conscience que vous feriez autant qu’une mère…

– Oui, oui ! haleta Marie de Croixmart.

– Ce que vous feriez pour moi, je vous supplie de le faire pour cette noble demoiselle. Je vous demande pour elle votre affection et votre dévouement. Et alors, madame, vous pourrez me demander à moi jusqu’à la dernière goutte de mon sang, puisque je n’ai à donner que mon sang.

Marie de Croixmart tendit ses deux mains à Florise, avec une telle sympathie, dans un tel mouvement de sincère affection que la jeune fille sentit ses craintes se dissiper.

– Comment vous nommez-vous, mon enfant ?

– Florise, madame, dit la jeune fille. Soyez remerciée de l’hospitalité que vous m’accordez. Où irais-je, sans vous ?… Je n’ai plus de mère…

– Je serai la vôtre ! dit vivement Marie de Croixmart.

– Et quant à mon père, ajouta Florise, frappé en pleine prospérité par la fatalité, jeté en prison… lui qui, hier encore, était un des plus puissants seigneurs de la cour…

– Pauvre petite ! De quoi est-il accusé ?… Qui est-ce ?…

– C’est le grand-prévôt, le baron de Roncherolles…

Marie de Croixmart eut au fond de l’âme un cri terrible :

– Il aime la fille du maudit !…

Elle eût été la mère, qu’elle n’eût pas davantage souffert. Le Royal aimait la fille de Roncherolles ! Fille digne de ce père, sans aucun doute !… Comment le sauver ? Comment lui dire que cet amour cachait un abîme de désespoir.

– Madame, fit Florise, vous souffrez ! Qu’avez-vous ?

– Rien ! bégaya Marie de Croixmart d’une voix dure. Et elle songeait :

– Prévenir ce malheureux ! lui dire l’infamie du père… lui expliquer que la fille d’un Roncherolles ne peut traîner après soi que malheur et…

Elle s’arrêta soudain. Sa pensée eut une volte soudaine.

– Madame, qu’avez-vous ? répétait Florise. Si c’est une souffrance du corps, je vous soignerai. Si c’est une souffrance du cœur, je vous consolerai…

– Et moi ! rugit en elle-même Marie de Croixmart. N’ai-je pas été la fille d’un maudit ! Si Renaud m’avait condamnée, repoussée, humiliée, parce que j’avais pour père le grand juge Croixmart !… Quel père, grand Dieu ! Celui qui a fait mourir par le feu la mère de son amant !

Mais encore le nom de Roncherolles sonnait en elle le tocsin de la haine. Peut-être allait-elle crier à Beaurevers : « Malheureux, écartez-vous de cette fille, car elle est maudite !… » Elle le chercha de ses yeux hagards. Et Florise aussi se retourna : ni l’une ni l’autre ne le vit.

Le Royal de Beaurevers avait disparu. Il avait doucement descendu l’escalier et s’était élancé au dehors :

– Même si le grand-prévôt doit me faire pendre, il faut que je sauve le père de Florise !…

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