C’était donc un de ces hommes de sac et de corde qui se vendaient, corps et âme, au plus offrant et dernier enchérisseur. Il avait fait les dernières campagnes de François Ier, où il avait reçu et rendu force horions. Il s’était attaché à la fortune du prince Henri, qu’il méprisait in petto, mais qui payait ses services sans marchander.
Voilà l’homme qui avait accepté la mission de remettre l’enfant de Marie au bourreau chargé de l’exécuter.
Au moment où, dans le cachot du Temple, Marie tomba sans connaissance, Henri remit l’enfant au bravo. On a vu quels furent ses ordres. Brabant sortit du Temple et emporta l’enfant jusqu’en son logis situé rue Calandre – sorte de galetas misérablement meublé, mais orné d’une collection de poignards, épées, rapières, estramaçons, lances, dagues, sans compter deux ou trois arquebuses. L’enfant criait, Brabant le déposa sur sa paillasse en grognant :
– Là, rejeton de Satan, la paix ! Quel gosier, quels cris ! Taisez-vous, ou je prends de l’eau bénite !
Cette menace n’ayant produit aucun effet, Brabant esquissa trois signes de croix, persuadé que l’enfant allait tomber en pâmoison.
Mais l’entêté n’en cria que de plus belle : il avait faim.
– Ouais ! fit le brave. Je le gratifie de trois signes de croix et il ne se tait pas. Si je savais quelque prière, je la dirais…
Là-dessus, il se mit à se promener furieusement à travers le galetas, mâchonnant force jurons et se bouchant les oreilles. Puis, il saisit dans ses bras le diablotin. L’enfant ne criait presque plus, il râlait ; lorsque le reître l’empoigna, le pauvre petit se tut soudain et avança ses lèvres avec le mouvement de téter. Alors, voyant cela, le bravo tomba dans une profonde rêverie. Le spadassin habitué aux mauvais coups sentit il ne savait quoi de très doux le pénétrer : c’était de la pitié. Il ne le savait pas.
L’enfant, tout à coup, s’endormit ; et, malgré cela, comme il arrive, ses yeux fermés continuaient de pleurer. Le bravo ne bougeait pas. L’homme de guerre drapé dans son manteau avec une immense rapière dans les jambes regardait dormir dans ses bras l’enfant qui pleurait. Enfin, il le déposa de nouveau sur sa paillasse. Puis il se recula en hochant la tête et en fourrageant des doigts sa tignasse brune, où des mèches commençaient à grisonner.
Il gagna la porte, descendit dans la rue, et entra chez une marchande de lait, pour la première fois de sa vie, Brabant-le-Brabançon acheta du lait. Il remonta à son taudis, lava son gobelet d’étain, et le l’emplit de lait. Et il s’approcha du petit, souleva sa tête…
Quand le fils de Marie fut rassasié, il étendit les mains, et se mit à tirer sur les moustaches du reître. Brabant-le-Brabançon se laissait faire… et tout à coup l’enfant se rendormit d’un sommeil apaisé.
Une sorte de mugissement sonore, soudain, dans la nuit ; le bronze de Notre-Dame.
– Une heure du matin !… gronda le bravo.
L’heure où il devait remplir sa mission, puisque le prince Henri n’était pas venu lui dire de rendre l’enfant à sa mère.
– Tant pis ! grogna-t-il. S’il vient et qu’il me dise d’aller chez le bourreau, je l’éventre, tout prince qu’il est !…
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Le jour où eut lieu le départ pour la Provence, Henri, parmi les gens de sa suite, ne trouva pas le bravo ; Brabant-le-Brabançon avait disparu.