III LE TOMBEAU DE MARIE

Dans le couloir, le prince vit Gilles le geôlier.

– Tu la suivras, dit-il. Et tu viendras me dire ce qu’elle aura fait. Ta tête me répond d’elle.

Pendant dix minutes, la mère demeura sans un soupir, sans une parole ; puis ce furent des cris espacés d’abord ; et, enfin, éclata l’horrible lamentation d’un être à qui l’on arrache les entrailles. Debout, elle se tordit les bras, s’arracha les cheveux. Elle appela son enfant. Elle appela Renaud à cris exorbitants. Enfin, elle vit la porte ouverte, et se rua. Sa clameur emplit l’escalier. Puis elle emplit les cours du Temple. On lui fit franchir le pont-levis. En hurlant, elle entra dans Paris. Il faisait nuit noire.

Peu à peu, cela s’apaisa. Son cœur continuait à rugir. Mais ses lèvres tuméfiées ne donnaient plus passage à aucun son. Vers minuit, elle se trouvait aux environs de la place de Grève. Elle était accroupie sous un auvent. Elle songeait : « Il faut qu’à minuit je sois rue de la Hache, au logis Roncherolles. Sinon, mon enfant sera tué par le bourreau. »

Et brusquement, comme minuit sonnait, elle ne se dit plus : Il faut que je sauve mon enfant. Elle se dit : Il faut que je me donne ! Et elle se leva en gémissant.

Elle se mit en marche vers la rue de la Hache. Elle tremblait d’horreur. Elle voulut hâter les pas… une force mystérieuse la cloua sur place ; elle voulut jeter un cri d’horreur, et, dans cet instant, elle s’abattit : quelqu’un venait de surgir et de la frapper d’un coup de poignard.

Un homme qui l’avait suivie depuis sa sortie du Temple et qui venait d’assister à cette scène, s’approcha. Il la toucha au cœur.

– Morte ? grogna le geôlier Gilles. Non. Il vaudrait mieux qu’elle le fût ! Que faire ?… Obéir à la Margotte ?…

Marie, toute raide, était étendue au long du ruisseau qui coulait au milieu de la rue. Tout à coup, Gilles souleva la jeune femme, la jeta sur son épaule, et se mit à marcher jusqu’à un logis situé aux abords du Temple.

Là, il trouva la Margotte qui l’aida à déposer Marie sur un lit. Puis le geôlier et sa femme eurent un conciliabule. Le geôlier ensuite courut vers la rue de la Hache, où il arriva un peu avant une heure.

– Eh bien ? demanda fébrilement le fils du roi.

– Monseigneur, répondit le geôlier, cette femme est morte.

– Morte ! rugit Henri.

– Morte, oui, monseigneur. Que faut-il faire du cadavre ?…

Henri recula, les yeux exorbités. Puis il jeta un grand cri et tomba lourdement, la face contre le tapis.

– Misérable ! rugirent Roncherolles et Saint-André en se ruant sur le geôlier. Tu as tué monseigneur ! Va-t’en.

Le geôlier allait se retirer, quand le prince revint à lui.

– Avant de t’en aller, fit Roncherolles, explique-nous comment elle est morte, que nous puissions le dire à monseigneur.

– Elle a été tuée, dit Gilles.

– Tuée ! s’exclamèrent les deux gentilshommes.

– Tuée au moment où elle allait vers la rue de la Hache !

Henri poussa un gémissement. Mais Roncherolles et Saint-André ne l’entendirent pas. Gilles continua :

– Selon les ordres de monseigneur, j’étais à dix pas derrière elle. Cette femme, donc, allait entrer dans la rue de la Hache, lorsqu’un gentilhomme l’a frappée d’un coup de poignard au cœur, en disant : « Au moins, tu ne seras à personne !… »

– Et qui était ce gentilhomme ? demanda Roncherolles.

– Je l’ai reconnu à la lune. Mais j’aimerais mieux donner ma tête au bourreau que de révéler un pareil secret.

– C’était mon frère ! rugit Henri en lui-même.

– C’est bon, dit Roncherolles. Garde le cadavre chez toi. Demain, tu l’enterreras aux Innocents.

*

* *

Quinze jours après eut lieu le départ du roi, de ses deux fils et de toute l’armée pour la Provence. Henri ne voulut pas aller voir le cadavre de Marie. Seulement, deux jours après les événements que nous venons de raconter, il alla trouver Gilles et se fit conduire jusqu’au cimetière des Innocents où il dit :

– Montre-moi la place où elle est enterrée.

Le geôlier le conduisit à un endroit où la terre était fraîchement remuée. Puis il se retira. Le fossoyeur du cimetière a raconté, par la suite, que le prince Henri était resté là jusqu’à la nuit noire, à sangloter et crier. Pendant les quelques jours qui précédèrent le départ, Henri fit faire, à l’endroit où le geôlier avait assuré qu’était enterrée Marie, une chapelle surmontée d’une croix. Sur la porte, par ses ordres, on avait gravé ces mots :

ICI REPOSE MARIE

PUISSE-T-ELLE, DU HAUT DES CIEUX,

PARDONNER À CEUX QUI L’ONT TUÉE.

Les vivants se chargent de la venger.

Henri s’enquit du fils de Marie. Quand il interrogea le Brabant, celui-ci lui répondit tranquillement :

– Le diablotin a été rejoindre son père, Satanas !

La nouvelle ne produisit qu’une médiocre impression sur l’esprit du prince. Marie était morte : peu importait que son enfant le fût également.

Lorsque l’armée, enfin, sortit de Paris, Henri, placé à son rang derrière son frère le dauphin, lui jeta un regard étrange. Et en lui-même, il murmura furieusement :

– Les vivants se chargent de la venger !…

Sa jeune femme, Catherine de Médicis, qui chevauchait près de lui, surprit ce regard de haine mortelle… Son charmant visage, un instant, s’éclaira d’un livide sourire.

– Oh ! gronda-t-elle en elle-même, est-ce que je tiendrais le moyen de faire de mon époux le dauphin de France ! C’est-à-dire le successeur de François Ier et ma royauté assurée !…

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