I L’ENFANT GRANDIT

Du temps s’écoula encore. Deux ou trois mois. Au fond du cachot du Temple, le fils de Nostradamus grandissait. Il avait été sursis à l’exécution du jugement. Sans aucun doute, cet enfant était issu des relations que la prisonnière avait dû avoir avec le Damné, mais il n’en portait aucun signe visible. Les juges avaient résolu d’attendre.

Dans cette période, Henri, deuxième fils du roi, descendit parfois dans le cachot. Il y restait quelques minutes, considérant Marie avec attention et semblant constater les progrès que l’amour maternel faisait dans le cœur de la prisonnière. Puis son regard, avec une étrange expression, se reportait sur l’enfant.

Le prince aimait Marie comme il ne l’avait jamais aimée. Il haïssait de toute son âme ulcérée ce fils, preuve de l’amour qu’elle avait éprouvé pour un autre. Le comte d’Albon de Saint-André et le baron de Roncherolles, étaient devenus ses favoris. Ils s’étaient rendus un jour à Saint-Germain-l’Auxerrois pour s’emparer du registre sur lequel Renaud avait apposé sa signature : son vrai nom… Prêtre et registre avaient disparu.

Qu’était devenu Renaud ? Ils l’ignoraient. Roncherolles poussa même jusqu’à Montpellier, mais n’y eut aucune nouvelle. Il finit par supposer que Renaud avait dû être assassiné en route par quelque bandit.

Quant à François, jamais il ne redescendit dans le cachot. Un profond changement se fit dans les habitudes du dauphin de France. Adonné jusque-là aux plaisirs comme son père, comme son frère, il se mit à s’occuper avec activité des affaires de l’État et devint le chef de ce parti militaire qui poussait le roi contre Charles-Quint. Le moment était d’autant mieux choisi que, selon tous les rapports, l’empereur se préparait à envahir la Provence.

L’expédition arrêtée quelques mois auparavant fut activée. Henri et François furent chargés de préparer une concentration de troupes entre Valence et Avignon. De là, sous la direction du connétable de Montmorency, ils s’élanceraient pour couvrir la Provence d’une digue infranchissable. Le roi prendrait le commandement en chef de l’opération.

François avait-il réellement renoncé à Marie ? Le remords, la pitié, enfin, étaient-ils descendus dans son cœur ?

Un jour, Marie, au fond de son cachot, s’amusait à lutiner le petit. Elle lui parlait. La Margotte était près d’elle. Elle avait pris cette habitude de descendre tous les jours une heure ou deux, et elle n’avait plus peur de la sorcière – ni d’être damnée.

Marie ne pensait pas à Renaud : il était sa pensée. Il vivait en elle, il faisait partie de son existence ; elle ne pensait pas plus à Renaud qu’on ne pense à respirer, et pourtant on respire. Ne plus avoir Renaud dans sa pensée, vivant et présent, c’eût été la mort pour Marie. Seulement, de moins en moins, elle se préoccupait de son absence matérielle. L’enfant qu’elle avait nommé Renaud devenait le monde où se concentrait tout ce qu’il y avait de vivant en elle. Elle se sentait éperdue de bonheur à le sentir contre elle, à le toucher.

– Il me griffe, dit-elle en riant, il sera fort.

– Et beau ! dit la Margotte. Est-ce que vous le voyez bien ?

– Je puis fermer les yeux, je le vois tout de même.

Elles causaient ainsi, dans les ténèbres, l’enfant entre elles deux sur de la paille fraîche, accroupies. Et cela se passait à trente pieds sous terre. Un coup de sifflet retentit au loin. La Margotte se leva précipitamment.

– Voilà Gilles qui me prévient ! dit-elle.

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