I CATHERINE DE MÉDICIS.

Dans une vaste chambre à coucher du Louvre, Catherine de Médicis, femme d’Henri II, roi régnant, et Ignace de Loyola, fondateur d’un ordre qui ne comptait encore qu’une vingtaine d’années d’existence, mais avec lequel comptaient la royauté et la papauté étaient réunis. La chambre, c’était celle de la reine légitime. Quant à la chambre de la reine illégitime, c’est-à-dire de Diane de Poitiers, elle était située à l’autre aile du Louvre. C’était une pièce immense, meublée dans le goût charmant de la Renaissance.

Paris dormait. Un silence énorme pesait sur le vieux palais.

– Messire, dit Catherine, il est temps que nous partions.

Elle se couvrit d’un voile noir. La mère de Charles IX et d’Henri III avait un peu plus de quarante ans. L’éclatante beauté de sa jeunesse avait pris un caractère sombre et fatal. À quarante ans, les femmes ont pris de l’embonpoint dans l’esprit et de la lourdeur dans le corps. Mais Catherine s’affinait. Elle était plus maigre, plus svelte.

Ignace de Loyola, voyant se lever la reine, se leva également et s’approcha d’elle comme un monarque traitant d’égal à égale. Bien qu’il fût presque septuagénaire, il avait gardé cette élégance d’allure dont il ne put jamais se défaire. Il portait un costume de cavalier en velours violet ; seulement, sous le pourpoint, il y avait un scapulaire sur lequel était brodé un cœur de Jésus, avec, en exergue, les quatre lettres qui ont été le signe de la plus formidable puissance :

A. M. D. G.

Une fine rapière battait à son côté ; si on avait tiré la lame, on eût pu lire ces mots ciselés sur le plat :

JE SUIS LE SOLDAT DU CHRIST

Il y avait dans son visage une sorte de sérénité. Une légère boiterie de la jambe droite ne lui enlevait rien de cette grâce altière qu’il tâchait de dissimuler sous une humilité d’apparat.

– Madame, dit Loyola, avez-vous réfléchi ?

– C’est tout réfléchi, dit Catherine. Allons messire.

Le moine l’arrêta d’un geste, et s’inclina légèrement.

– Madame, dit-il, vous qui êtes une grande reine, vous serez le champion de l’Église, Madame, il faut tuer l’hérésie. Madame, il faut tuer la science, mère maudite de l’hérésie. Madame, c’est vous que j’ai désignée à l’obéissance des affidés de France. Et lorsque je veux m’en aller mourir à Rome, content de pouvoir dire à saint Pierre que les destinées du plus beau royaume de la chrétienté sont en bonnes mains, que me dites-vous, madame ?… Que vous voulez aller consulter une façon de devin ou d’astrologue, une créature du démon, quelque chose de pis, peut-être : un savant !…

– Messire, je suis reine, il est vrai. Mais je suis femme aussi. Écoutez. Voici quelques jours que ce Nostradamus est dans Paris. Et déjà sa réputation, pareille à une traînée de feu, s’est répandue dans la ville. Je veux le voir. Je veux voir cet homme, qui est capable de me montrer de quoi est fait demain.

– C’est à Dieu, qu’il faut poser ces sublimes questions.

– J’ai parlé à Dieu. Je l’ai prié selon la formule que vous m’avez donnée. Les puissances du ciel ne m’ont pas répondu. Puisque le ciel est sourd, c’est à l’enfer que je veux parler.

Le premier général des jésuites se signa et murmura :

– Fiat voluntas tua.

– Je suis résolue à savoir ! reprit Catherine. Et s’il ne s’agissait que de moi… Je sais que mon heure viendra. Mais Henri, mon cher Henri, mon chérubin…

– Henri ? interrogea le moine.

– Le troisième de mes enfants… Comprenez-vous ?… Ils sont deux avant lui !… Exclu de la royauté… à moins que Dieu… n’appelle à lui ses frères… avant l’âge…

En parlant ainsi, Catherine de Médicis baissait la voix. Loyola la considérait avec une curiosité épouvantée.

– Voulez-vous le voir ? reprit Catherine.

Catherine pénétra dans une chambre éclairée par une veilleuse. Là dormaient les trois premiers fils du roi Henri. C’était une sorte de dortoir dont seul était exclu le plus jeune fils du roi, François , qui couchait encore avec la nourrice.

Il y avait là trois lits à colonnes. À gauche, c’était le lit de François , l’époux de Marie Stuart, au visage pâle et maigre, qui allait sur sa quinzième année. À droite, c’était le lit de Charles . Il avait environ neuf ans. Par les courtines entr’ouvertes, on le voyait, les yeux ouverts et fixes.

– Vous ne dormez pas, Charles ? demanda Catherine sèchement. Il faut dormir. Allons, fermez les yeux.

Charles ferma ses paupières en poussant un soupir. Catherine tira la courtine et se dirigea vers le fond de la pièce. Là, c’était le lit d’Henri . La mère écarta les rideaux.

Il achevait sa septième année. C’était le plus beau des quatre. Il souriait en dormant. De magnifiques boucles blondes encadraient son fin visage. Catherine s’était penchée.

– Regardez-le, murmura-t-elle extasiée.

Le profond et subtil regard de Loyola ne chercha pas l’enfant, mais la mère. Et il la vit transfigurée, attendrie.

Alors, le regard du moine se porta sur les lits de François et de Charles, de ceux qui empêcheraient Henri de régner… si Dieu avant l’âge ne les appelait pas à lui ! Et il songea :

– Condamnés !…

Peut-être son œil de flamme avait-il découvert dans l’âme de la reine, des germes qu’elle ignorait encore !…

– Bénissez-le ! reprit doucement Catherine.

Et elle s’agenouilla. Loyola récita une prière qu’il termina par le signe de la bénédiction. Alors, Catherine se releva, puis, suivie du moine, rentra dans sa chambre.

– Avez-vous compris ? gronda-t-elle en saisissant le bras de Loyola. Je veux savoir si Henri, mon fils, régnera. Et puisque vous ne pouvez me répondre, vous l’envoyé de Dieu, allons voir l’envoyé de Satan !

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