Vers le milieu de la rue Froidmantel s’élevait un ancien hôtel seigneurial flanqué de tourelles et entouré d’un fossé, vestiges des époques féodales.
Un mois avant, l’hôtel avait été acheté par un étranger pour le compte de son maître. C’était un petit vieux, parcheminé : Une nuée d’ouvriers s’abattit sur l’hôtel. L’hôtel se trouva magnifiquement aménagé. Puis le vieux partit en disant qu’il se rendait à Fontainebleau à la rencontre de son maître.
C’est devant cette demeure que la reine et son compagnon s’arrêtèrent, leur escorte étant restée à vingt pas. Il était onze heures.
– Nous arrivons à la minute fixée, murmura Catherine.
Ils étaient masqués tous deux. Par surcroît, la reine se couvrait de son voile, et le cavalier de son manteau. Le pont franchi, Catherine s’arrêta devant une immense porte massive.
– J’entre avec vous, dit Loyola, mais c’est pour convaincre d’imposture celui à qui vous faites un tel honneur.
En même temps, le général des jésuites mit la main sur un marteau de bronze ciselé en forme de sphinx. Mais avant que le marteau ne fût retombé, la porte s’ouvrit.
Ils entrèrent, et se trouvèrent dans un grand vestibule éclairé par trois énormes candélabres supportant chacun trois cierges de cire disposés de façon à former un triangle. Au fond du vestibule commençait un escalier de marbre rouge. Sur la première marche, se tenait un petit vieillard vêtu de noir. Il salua et prononça :
– Mon maître vous attend.
Puis il monta. Au premier étage, le petit vieux ouvrit une porte et s’effaça pour laisser passer les visiteurs. La salle où ils pénétrèrent alors était étrange dans sa simplicité.
Elle était parfaitement ronde et son plafond s’arrondissait lui-même en un dôme au zénith duquel brillait un fanal qui versait une lumière douce. Douze portes s’ouvraient sur cette salle. Sur le fronton de chacune de ces portes était représenté l’un des signes du zodiaque. Sur la frise qui courait autour de la muraille, apparaissaient les sept planètes. Les portes étaient séparées l’une de l’autre par des colonnes de jaspe. Sur chacune de ces colonnes, était gravé le nom de l’un des mois du calendrier astrologique.
Au pied de chaque colonne était accroupie une figure de marbre aux formes chimériques. Et ces figures représentaient les douze Génies attachés à chacun des douze signes du zodiaque.
Tout l’ameublement consistait en douze fauteuils de marbre rouge rangés symétriquement par rapport aux douze portes d’ivoire. Ils étaient placés autour d’une table ronde supportée par quatre sphinx de marbre. La table était un bloc d’or pur sur lequel était figuré en relief le signe suprême, le rayonnant symbolisme de haute magie, la Rose-Croix , au centre de laquelle brillait en lettres de diamants le verbe sacré :
INRI
C’était une fabuleuse mise en scène de mystère, jetant dans l’âme exorbitée une religieuse horreur en même temps qu’une admiration tremblante.
Loyola demeura dédaigneux. Catherine sentit son cœur grelotter. Et leurs regards se fixèrent sur l’homme qui s’avançait en souriant : Nostradamus !… Il était vêtu selon la mode des seigneurs de la cour de France. Il portait l’épée. Mais à son pourpoint, il n’y avait pas d’autre ornement qu’une chaîne d’or terminée par une Rose-Croix de rubis. Il était de haute taille, avec un visage d’une beauté parfaite, mais d’une pâleur extra-humaine.
– Noble dame, dit-il, et vous, seigneur, je vous salue…
Il fit asseoir Catherine dans le fauteuil correspondant à la porte sur laquelle était tracé le signe de la Balance, et Loyola dans le fauteuil correspondant au Sagittaire. Lui-même prit place dans le fauteuil correspondant au Lion.
Ils étaient ainsi placés tous trois de façon à occuper les trois sommets d’un triangle dont les côtés étaient égaux.
– Madame, dit Nostradamus de sa voix grave, je mets cette nuit ma science à votre service, et j’attends vos questions.
– Ta science ! gronda Loyola avec mépris. Magie !… Vaines chimères ! Impostures !… à moins que je ne dise CRIME !