VI LE FANTÔME DE FRANÇOIS

Nostradamus fit un geste et la lumière de la voûte sphérique s’éteignit. La salle demeura plongée dans les ténèbres.

– Que voulez-vous faire ? balbutia la reine éperdue.

Elle sentit alors qu’une main la saisissait et l’entraînait.

À ce moment, très loin, elle entendit la voix du crieur de nuit, pareille à une lamentation :

– Il est minuit ! Gens de Paris, dormez en paix !

– Minuit ! répéta Catherine, l’âme vacillante.

– Par toutes les Puissances ! murmura à son oreille la voix du mage. Ne prononcez pas un mot, si vous voulez que l’évocation s’accomplisse, et si vous voulez régner…

Catherine refoula sa terreur, et suivit Nostradamus qui l’entraînait. Elle pénétra tout à coup dans une pièce vaguement éclairée de phosphorescence rougeâtre. Un étrange parfum la saisit aussitôt…

– Ne vous effrayez pas de ces odeurs éparses dans cette atmosphère, dit la voix de Nostradamus. Vos sens s’accoutumeront à ces émanations nécessaires.

Catherine osa ouvrir les yeux.

Et voici ce qu’elle vit : Elle se trouvait dans une chambre rectangulaire, sans fenêtres, dont le plafond, les quatre parois et le plancher étaient recouverts d’une étoffe de soie vert-émeraude ; cette étoffe était ajustée au moyen de clous de cuivre. Au fond, se dressait un grand cadre, couvert d’un voile blanc.

– Il y a là un portrait ! songea-t-elle. Quel portrait ?…

Mais son attention se porta sur une sorte d’autel en marbre blanc, dressé devant le cadre. Sur l’autel, resplendissait le talisman d’Anaël, la croix de cinq pointes, en cuivre pur. Sur cet autel Catherine entrevit le réchaud d’où se dégageaient les parfums. Au milieu de la pièce, un trépied supportant un autre réchaud où brûlaient aussi des parfums. Enfin, Catherine vit que l’autel et le trépied étaient entourés d’une chaîne de fer et d’une triple guirlande faite de roses et de feuillages de myrte et d’olivier entrelacés.

Comme elle tournait la tête un peu en arrière, du côté face au portrait, elle vit un dais en étoffe vert-émeraude, supporté par deux colonnes de cuivre, au pied desquelles s’accroupissait un Sphinx de marbre blanc.

Sous ce dais, tout à coup, elle vit Nostradamus. Il tenait dans la main gauche un candélabre en cuivre, qui supportait un cierge, et, de sa main droite, une épée nue… Il déposa le candélabre contre le mur, puis au milieu de la pièce, il traça de la pointe de son épée un grand cercle .

À ce moment précis, Nostradamus prononça :

– Dans la foule des trépassés que d’invisibles liens unissent à Henri, roi de France, j’appellerai pour être témoin de mon serment celui qu’Henri de France a tant pleuré, le frère bien-aimé, mort à Tournon, François de Valois !

– François ! hurla Catherine. Pas lui ! Je ne veux pas !

Elle crut avoir crié. Aucun son ne sortit de ses lèvres.

– François de Valois, appela Nostradamus, au nom des Puissances, lève-toi d’entre les morts !

– Non ! non ! rugit Catherine en elle-même.

Et, d’un frénétique effort de tout son être, elle parvint à se traîner de quelques pas plus loin. Elle avait alors à sa droite le grand cadre couvert de son voile blanc, à sa gauche le dais vert-émeraude.

Soudain, elle vit tomber le voile blanc qui recouvrait le cadre. Les pupilles dilatées, son regard se fixait sur l’espace qu’entourait ce cadre… Cet espace était occupé par une glace sans tain, derrière laquelle flottaient les ténèbres.

– Au nom des puissances occultes ! prononça encore Nostradamus, François de Valois, frère d’Henri de France, je t’adjure de te montrer à la reine ici présente.

Catherine sentit que son cœur s’arrêtait de battre. Tout à coup, elle frémit : dans le cadre, derrière ou sur la glace, au fond, des ténèbres, une forme venait de se dessiner !… Une forme indistincte, qui semblait lointaine ; mais en moins d’une seconde, elle se précisa, elle fut sur la glace… elle fut dans la chambre !…

– François ! râla Catherine. Par pitié, éloigne-toi !

– François de Valois, dit le mage, Nostradamus te salue !

Dans le même instant, Catherine vit que l’apparition avait pris place sous le dais. Le fantôme de François était vêtu tel que Catherine l’avait vu au moment d’aller à une bataille : il était couvert d’acier, hormis la tête qui émergeait, rigide. Une tête exsangue, sans tristesse ni colère, une tête avec des yeux qui semblaient rivés sur Catherine.

Et elle haletait. Elle voyait l’Invisible… Son être craquait, se tordait sous les étreintes de la peur…

Et, soudain, elle fut transportée dans le monde des épouvantes : le fantôme de François venait à elle !… Il s’approchait… il était sur elle !… Catherine se renversait en arrière, les bras tendus, les mains frénétiques… François se penchait ! François allongeait la main !… Et du bout du doigt, il la toucha au front. Elle s’écroula avec un gémissement et s’anéantit…

Lorsque Catherine revint aux sens des choses, elle se vit dans une belle chambre ornée de meubles magnifiques, inondée de lumière. La reine était assise dans un fauteuil, sur des coussins moelleux ! Nostradamus, empressé, respectueux, lui faisait respirer une essence, puis longuement, lui parlait, la calmait, lui ordonnait de se souvenir seulement que bientôt elle serait LA REINE. Sous cette parole, Catherine renaissait. Non, elle n’avait pas revu sa victime. Non, le fantôme de François ne l’avait pas touchée au front… Elle avait rêvé !

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