– Voyons, fit Nostradamus avec bonhomie, vous avez lieu de vous plaindre de votre époux Henri, roi de France.
La reine ne remarqua pas l’accent de haine implacable avec lequel il avait prononcé le nom du roi.
– Henri, dit-elle, a aimé bien des femmes. Mais pour celle qu’il aime aujourd’hui, sa passion ira jusqu’à…
La reine se tut. Nostradamus murmura dans un souffle :
– Jusqu’à vous répudier, n’est-ce pas, madame ?…
La reine eut un regard qui eût terrorisé tout autre.
– Vous avez promis d’être franche, madame.
– C’est vrai ! fit sourdement la reine. Voilà le chancre rongeur de ma vie. Le roi est fou d’amour. Il offrira le trône à cette femme, et on me brisera ! Patience ! Mon heure viendra. Et alors, oh ! alors, malheur à ceux et à celles qui m’auront fait souffrir !
Catherine s’arrêta brusquement, passa une main sur son front, et murmura :
– Cette femme peut me faire un mal irréparable. Une perverse créature qui sait se refuser pour tout obtenir…
– Puis-je savoir son nom ? demanda Nostradamus.
– Elle s’appelle Florise de Roncherolles…
Nostradamus ne fit pas un mouvement. Mais la reine Catherine eût grelotté d’épouvante, si elle avait entendu la clameur de joie qui se déchaîna dans le cœur de Nostradamus.
– La fille de Roncherolles ! Florise est aimée d’Henri ! songeait-il. Oh ! J’entrevois pour cet homme des souffrances pareilles à celles que j’ai souffertes, puisque Florise est ou sera aimée de Royal-Beaurevers et que le Royal-Beaurevers, c’est le fils d’Henri ! Roi de France, voici le châtiment ! Aime cette Florise ! Puisse-tu l’aimer mille fois plus que jadis je n’aimai Marie !…
Puis, tout s’apaisa en lui. Et en Nostradamus il n’y eut plus que le froid calculateur mûrissant le problème de la vengeance. La reine disait :
– Je n’ai qu’un moyen de me défendre. C’est de tenter sur Henri quelque artifice d’amour… J’ai entendu parler de philtres… moi-même, j’en ai usé… Mage… j’attends !
Nostradamus ne répondit pas. Il se parlait à lui-même.
– Quel sanglant avenir je vois à cette famille maudite ! Car voici le châtiment d’Henri, frappé en lui, en sa postérité ! Car ce sera la famille de malédiction où l’épouse assassine l’époux, où la mère tue les enfants, où les frères s’entre-dévorent.
– Mage, reprit la reine avec irritation, tu ne réponds pas !
Nostradamus se leva et prononça :
– Cet homme qui t’a humiliée, ce roi, tu le hais. Et tu une demandes un philtre d’amour ! Il faut un plus redoutable châtiment ! Tente, si tu veux, de le ramener à toi par l’amour. Essaie encore sur lui les charmes de ton corps. Car tu es belle, Catherine. Oui, tente, si tu veux, un suprême assaut. Moi, je ne veux pas m’en mêler.
Catherine grinça des dents.
– Tais-toi ! continua Nostradamus, Henri aimera Florise jusqu’à la limite extrême. Tu te verras à la minute de la répudiation… Et c’est alors seulement, que j’arriverai et que je te sauverai. Catherine, tu ne seras pas répudiée, Catherine, tu régneras… Tu occuperas le trône de France avec le fils de ton cœur. J’en fais le serment !
La reine, une minute, demeura éblouie devant cet avenir de puissance et de vengeance que venait d’évoquer le mage. Nostradamus s’enfonçait dans une méditation.
– Oh ! Et si elle allait tenter de ramener à elle cet homme ! Si elle allait réussir !… Elle est belle encore. Si cet homme allait se mettre à aimer Catherine ! Je verrais ma vengeance se dissiper… Allons ! Mettons entre Catherine et Henri quelque barrière infranchissable ! Tentons une fois encore dans la vie la terrible opération que j’ai réussie déjà !…
Catherine s’enveloppait de son voile et disait :
– Voici qu’il va être minuit. Messire, attendez-vous à me revoir. J’emporte vos paroles dans mon cœur…
– Madame, fit Nostradamus, il faut que mon serment pour être valable, soit répété devant quelque membre défunt de la famille du roi votre époux. Soyez courageuse…