Nous prierons nos lecteurs de nous suivre au château du Louvre. Nous passerons à travers la cohue des courtisans, et nous nous arrêterons un instant dans un salon écarté.
Là, quatre personnages étaient réunis. C’étaient, d’une part, François et Henri, les deux fils du roi, et, d’autre part, Roncherolles et Saint-André, qui venaient d’arriver. Les deux frères, enchaînés l’un à l’autre par la haine, ne se quittaient pas.
C’est que les deux frères adoraient la même femme. Ensemble, ils l’avaient vue pour la première fois sous les peupliers de la Seine et chez tous deux, la passion s’était déchaînée.
À l’entrée de Roncherolles et Saint-André, les deux princes eurent le même mouvement d’interrogation angoissée.
– Nous connaissons le bien-aimé ! s’écria Saint-André.
– Nous savons qui est la fille, dit Roncherolles.
– Qui est-elle ? interrompirent les deux princes.
– La fille du seigneur de Croixmart.
– Tué hier en place de Grève ! ajouta Saint-André.
Aucun des deux frères ne songea que la mort tragique du père pouvait les faire renoncer à leurs projets.
– Seule, maintenant ! dit François avec un soupir.
– Et sans défense ! dit Henri avec un sourire.
– Et l’homme qu’elle aime ?… grondèrent-ils tous deux.
– Il s’appelait Renaud, dit Roncherolles.
– Cette nuit, ajouta Saint-André, nous lui avons vu faire quelque chose d’étrange… Prenez garde, messeigneurs. Qui sait quelles protections couvrent les agents de l’enfer ?…
– Qu’avez-vous donc vu ? murmurèrent les princes.
– Quelque chose, dit Roncherolles, qui a fait reculer de terreur la ronde que nous conduisions…
– Et quelque chose, se hâta d’ajouter Saint-André, qui vous débarrassera de cet homme, s’il est d’essence humaine…
– Comment cela ? firent avidement les deux frères.
– Voici, messeigneurs. Passant sur la place de Grève, nous avons vu ce Renaud, agenouillé sur les cendres du bûcher où a été brûlée la sorcière. Un spectre noir l’accompagnait. Il enlevait les ossements de la sorcière !…
Les deux princes frémirent. Roncherolles acheva le récit :
– Ossements destinés sûrement à un maléfice. Renaud est criminel : il n’y a plus qu’à le faire brûler !
– C’est vrai ! rugit Henri. Je cours chez le roi.
– Non ! grinça François. C’est à moi, l’aîné, d’y aller !
Les deux frères se mesurèrent du regard. Des paroles confuses s’échangèrent, les grondements de deux tigres face à face. À ce moment, une tenture se souleva, et Saint-André cria :
– Le Roi !…
C’était en effet François Ier, le roi batailleur et galant, qu’il nous faut ici présenter en quelques mots. Pour cela, nous entrerons dans une magnifique salle où le roi François Ier et le connétable de Montmorency pénètrent ensemble. François Ier est rentré à Paris depuis quelques jours après une trêve signée avec Charles-Quint, et Paris lui a fait une splendide réception.
François Ier venait d’avoir son tour de triomphe. Il avait jeté sa griffe sur les Savoies, et Charles avait demandé une trêve…
Le roi de France, donc, pénétrait avec Anne de Montmorency dans son cabinet de travail. Le connétable regarda le roi qui se mit à rire.
– Eh bien ! Parle. Mais d’abord, laisse-moi te féliciter. Quel appétit ! Je voudrais avoir tous les jours des convives tels que toi à ma table ! Moi, je n’ai pas mangé.
– Sire, dit Montmorency, Sa Majesté Charles-Quint rassemble soixante à quatre-vingt mille combattants, et dans trois mois…
François Ier se mit à arpenter son cabinet. Il avait conservé cette élégance qui faisait de lui le plus beau gentilhomme de son royaume.
– Quelle entrée ! s’écria-t-il. As-tu vu comme les femmes agitaient leurs écharpes et comme elles étaient jolies ? Dieu me damne, elles sont toutes amoureuses de moi !
Anne de Montmorency redressa sa taille de géant.
– Sire, dit-il, lorsque l’empereur aura sous sa main l’armée qu’il rassemble, il rompra la trêve. Alors, sire, le vautour impérial fondra sur vos provinces, et…
– Et nous lui opposerons ta rude épée, mon connétable, cariatide de mon trône ! Ah ! par tous les diables, laisse-moi m’enivrer de vie, après m’être tant enivré de mort sur les champs de bataille !… Oui, je sais ! J’aurais dû achever le sanglier !… Que veux-tu ! Tu ne peux comprendre, toi, géant d’acier, qu’un cœur d’homme batte dans ma poitrine…
– Toujours l’amour ! Maudites soient les femmes !
– Amen ! dit François Ier en éclatant de rire. Allons, rassure-toi. Il y aura encore de beaux carnages par le monde. Prends ton temps. Et prépare-nous une expédition qui écrase pour toujours le sanglier. En chasse. Et en attendant, vive l’amour !
Le connétable s’inclina jusqu’à terre, admirant que le roi pût parler si bellement de l’amour tout en donnant de ce ton léger un ordre de guerre qui devait mettre le feu à l’Europe.
– Sire, dit-il, ces paroles de roi me suffisent.
– Bon. Maintenant, va-t’en. Moi je m’en vais dire bonjour à mes gentilshommes qui, paraît-il, sont férus de me voir.
C’était vrai. Assemblés au Louvre, mille gentilshommes attendaient François Ier pour le féliciter de son triomphe et de son retour. Le roi se dirigea vers la réception, épanoui, saluant ses officiers avec grâce, pinçant l’oreille à ses suisses en riant, adressant aux dames qu’il rencontrait de merveilleux et lestes compliments et chacun s’apprêta à recevoir quelque étincelle de cette gerbe éblouissante qui allait retomber en faveurs.
François Ier parvint à ce salon isolé où nous avons vu réunis quatre personnages. Devant la lourde tapisserie tendue sur la porte ouverte, le roi s’arrêta : deux voix échangeaient là des paroles où rampait l’envie, où sifflait la haine. Et ces voix, le roi les reconnut. C’étaient celles de ses deux fils : François, dauphin de France, et Henri, le jeune mari de cette adorable créature dont raffolait toute la cour, à l’exception de l’époux… Catherine de Médicis !
– Ils se haïssent ! gronda-t-il. Ah ! Devrai-je quitter ce monde avec cette pensée que je laisse derrière moi deux frères jaloux jusqu’à s’entre-tuer et à déchirer mon royaume !
Il écouta quelques minutes. Et alors, un sourire détendit ses lèvres : une flamme pétilla dans ses yeux :
– Dieu soit loué : il ne s’agit que d’une femme !…