Comment Nostradamus se retrouva-t-il en son hôtel. Il ne le sut pas. Il avait vaguement conscience d’être tombé assommé, dans la chambre royale. Presque aussitôt, sous l’influence de quelque révulsif que lui administra Djinno, il était revenu à lui. Le petit vieux l’avait entraîné. Confusément, Nostradamus se souvenait que la chambre du roi avait été envahie par une foule, et qu’une voix avait dit : Le roi est mort !… Il avait entendu alors un grand cri de : Vive le roi ! Et il s’était retrouvé dans son hôtel.
Il était seul. Il voulait courir à la recherche de Djinno. Et il ne pouvait faire un pas. Enfin, il put hurler : Djinno !… Le vieillard apparut. Nostradamus voulut s’élancer pour l’interroger. Mais Djinno étendit la main et Nostradamus demeura cloué sur place. En même temps, il s’aperçut que l’aspect de Djinno s’était étrangement modifié. La taille du petit vieux semblait s’être développée. La flamme narquoise de ses yeux avait fait place à un regard où il n’y avait aucun sentiment humain. Alors il sembla à Nostradamus qu’il avait déjà vu cette figure.
– Qui êtes-vous ? fit-il tout haletant. Où vous ai-je vu ?
Djinno parla. Sa voix était d’une grande pureté.
– Tu m’as vu, dit-il, il y a vingt-trois ans dans les souterrains de la grande Pyramide. Je suis l’un des mages gardiens de l’Énigme. L’un de ceux qui ont essayé de t’enseigner la sagesse.
– Maître ! Maître ! bégaya Nostradamus éperdu.
Lourdement il tomba à genoux. Djinno continua :
– Tu nous cachais tes projets de vengeance. Lorsque nous t’eûmes donné une partie de cette puissance réelle dont tu étais digne, nous t’avons renvoyé sur la terre pour savoir si tu triompherais de tes pauvres sentiments humains…
– Maître ! Maître ! sanglota Nostradamus.
– Alors, t’ayant mis en contact avec ton fils, nous t’avons défendu de savoir que c’était ton fils… Je t’ai suivi depuis ta sortie de la Pyramide. Je t’ai aidé. J’ai espéré que tu saurais t’élever au-dessus des misérables sentiments qui s’agitaient dans ton cœur. Alors, tu eusses pardonné ! Alors, je t’eusse reconduit auprès de tes paisibles maîtres et tu fusses devenu notre égal. Nostradamus, tu es resté homme par la vengeance. Nous t’avons laissé faire. Nous t’avons caché soigneusement la destinée de tous ceux qui te sont chers, et, avant tout, celle de ton fils…
– Sauvez-le ! oh ! sauvez-le ! râla Nostradamus.
– Par tes douleurs comme par tes colères, tu es toujours un homme… Tes douleurs sont néant. Tes vengeances étaient néant ! Adieu…
Il sembla à Nostradamus que Djinno s’évanouissait… Il tendit les bras vers cette apparition de plus en plus fluide :
– Puisque vous m’avez mis un bandeau sur les yeux, cria-t-il, laissez-moi au moins une parole d’espoir ou de pitié…
Nostradamus entendit en lui des paroles lointaines :
– Poussière d’humanité… siècles et millénaires, poussière de temps… Amour, haine, joie, fureur… poussière de sentiments…
Djinno avait disparu. Nostradamus se releva, pantelant. Il ne songeait déjà plus à cet être. Une sorte de rage le transportait à l’idée qu’il avait été impuissant à reconnaître son fils et que ce fils était condamné sans rémission.
– Et elle ! que j’ai maudite cent fois ! Elle me fut donc fidèle… jusque dans les cachots, jusque dans la mort !
Alors sa douleur s’exaspéra.
Nostradamus vécut une heure effrayante. Puis il se souvint que les mages de la Pyramide lui avaient du moins donné la science ; d’évocation. Et il voulut revoir la morte…
Alors, grâce à sa puissance sur lui-même, Nostradamus put triompher de sa douleur. Pourtant, lorsqu’il s’arrêta devant le tombeau de Marie, un tremblement le saisit. Mais, se remettant aussitôt, il commença les incantations qui devaient atteindre l’esprit de Marie et le forcer d’accourir du fond des limbes.
Peu à peu, sa pensée entra dans les sphères inconnues… L’image de Marie ne se montrait pas… Les morts qui dormaient là demeuraient tapis au fond de leurs retraites.
Puis, bientôt, ses invocations se firent plus impérieuses… Ses yeux se révulsaient, ses muscles craquaient…
Enfin, épuisé, brisé, il tomba à genoux devant la porte du tombeau, et il s’accrocha à une croix… et, dans cet instant même où il s’écrasait ainsi, tout à coup, il lui sembla qu’une dalle voisine venait d’éprouver une secousse…
Oui ! cette dalle vacillait !… Et là-bas, plus loin, une autre se mettait en mouvement, puis d’autres encore !…
Alors, le mirage se produisit… Alors, les tombes s’ouvrirent, les spectres se levèrent… Nostradamus en vit un d’abord, puis deux, puis plusieurs, toute une foule d’êtres aériens… Alors, il poussa un cri terrible…
Et, dans le même instant, les spectres disparurent. Il revit toutes les tombes fermées… Toutes ?… Non !
L’une d’entre elles, au contraire, venait de s’ouvrir alors que les autres se fermaient ! Une tombe dont la porte achevait de rouler sur ses gonds… Et c’était le tombeau de Marie !…
Nostradamus, d’un bond, fut debout. Il râla :
– Marie !… Est-ce toi ?… Es-tu là ?…
Dans cet instant, une forme noire s’encadra dans la porte.
Nostradamus la reconnut aussitôt : c’était Marie. Elle était vêtue comme il l’avait vue, à deux pas, la nuit où il avait enterré sa mère. C’étaient ; les mêmes vêtements de deuil. C’était la même attitude… Et il murmura :
– Un esprit n’aurait pas ces contours !… Je rêve !… À ce moment, l’apparition fit deux pas.
– Marie ! Marie ! hurla Nostradamus.
– Renaud ! cria Marie de Croixmart.
Hagard, fou, il la souleva dans ses bras et bégaya :
– Vivante ! Toi ! Toi ! Vivante !
Et ce qui se passa alors dans l’âme de Marie fut sublime. La joie de se trouver dans les bras de Renaud demeura enfouie au fond de son cœur. La mère seule vécut en elle en cette seconde de prodige :
– Sauve-le ! oh ! sauve-le !… furent ses premiers mots.
– Le Royal de Beaurevers ! râla Renaud.
– Notre enfant !… Ton fils !…
Et elle se renversa dans les bras de l’époux retrouvé. Il la serra sur sa poitrine, et sans chercher à comprendre le prodige, se mit en route, emportant sa femme dans ses bras.
– Venez ! dit près de lui une voix de pitié.
Nostradamus vit une femme qui pleurait, un homme, un colosse, qui le regardait avec une sorte de curiosité émue.
– Qui êtes-vous ? L’homme répondit :
– Je suis le geôlier qui, jadis, garda Marie de Croixmart dans les cachots du Temple.
Et la femme :
– Je suis la geôlière qui, jadis, au Temple, reçut dans ses bras le nouveau-né, l’enfant de la prisonnière… votre fils !