Les quatre estafiers s’avancèrent. Le Royal les foudroya du regard. Ils s’arrêtèrent. Roncherolles gronda :
– Qui sont ces quatre ?
– Des gentilshommes de la reine ! fit Trinquemaille.
Roncherolles crut qu’ils étaient là pour l’aider – c’était d’ailleurs la vérité.
– Vous pouvez aller rassurer la reine : l’homme est pris.
D’un coup d’œil, ils se concertèrent pour la bataille… Le Royal les tint sous son regard et, d’une voix étranglée :
– Oui, oui : allez rassurer la reine… allez donc !
Ils avaient un tel respect pour les moindres volontés de leur dieu, qu’ils rengainèrent, et, à reculons, sortirent…
Le Royal de Beaurevers fut conduit au Châtelet. Tout le long du chemin, Roncherolles marcha près de lui, le tenant par le bras. Beaurevers était hagard. Toutes ses pensées se battaient en tumulte. En vérité, pendant ce parcours, il n’y eut en lui qu’une idée :
– Je suis arrêté pour avoir meurtri le roi. Je vais mourir : je suis à jamais séparé de Florise. Si je tue cet homme, là, près de moi, je puis peut-être échapper. Oui. Mais si je tue le père de Florise, je suis séparé d’elle par l’horreur. Oh ! si Roncherolles pouvait seulement s’écarter une minute !…
Sur l’ordre du grand-prévôt, Beaurevers fut descendu au Paradis : c’était une idée de Roncherolles.
La première pensée de Beaurevers fut de se dire :
– Comment faire savoir à ma mère que je suis vivant ? Comment donner cette dernière joie à la Dame sans nom ?
Toute la journée, il ne pensa qu’à cela. Pendant ces longues heures, il ne songea ni à Florise, ni au roi. Il fut uniquement occupé de sa mère.
– Comme elle a souffert ! Comment mettre une joie dans cette existence ! Lui faire savoir que son fils est vivant !…
Sur le soir, un geôlier entra. Beaurevers eut une idée. Il fouilla vivement dans sa ceinture de cuir, où Nostradamus avait mis de l’or. Il en tira une dizaine de pièces, et dit :
– Veux-tu gagner ceci ?
– Je veux bien, fit le geôlier ébloui, mais comment ?
– Tu iras trouver une femme qui demeure rue de la Tisseranderie et s’appelle la Dame sans nom. Tu lui diras : Votre fils est vivant et vous aime. Il s’appelle Le Royal de Beaurevers…
– Donnez !… Dans une heure la commission sera faite.
Le geôlier compta les dix pièces d’or en souriant. Puis il salua son prisonnier avec un certain respect et se dirigea vers la porte. Le Royal songeait. Comme le geôlier atteignait la porte, le jeune homme eut un sursaut terrible. Il bondit vers le porte-clefs avec un cri :
– Arrête !…
Le geôlier obéit, flairant peut-être une nouvelle aubaine. Beaurevers haletait. Son front ruisselait de sueur. Il râla :
– Cette commission est inutile. Tu n’iras pas.
Le geôlier crut qu’on allait lui reprendre ces dix belles pièces. Il fit la grimace, et grommela :
– J’ai été payé. Rien ne m’empêchera d’aller dire…
– Tiens ! rugit Beaurevers. Voici pour ne pas y aller !…
Et il vida le reste de sa bourse dans la main du geôlier, ébahi de joie. Le geôlier n’y comprit qu’une chose, c’est que son prisonnier était fou. Le Royal s’était jeté sur son lit, et sanglotait :
– Lui dire que je suis vivant !… Mais c’est le coup de grâce que je lui porte ! Puisque je vais mourir !… Allons, il ne me reste qu’à obéir à l’ordre donné par mon père quand je vins au monde : aller trouver le bourreau à qui j’appartiens !… Et, au moins, la mère ne saura pas que ce truand qu’on va pendre, c’est son fils !… Pauvre mère, voilà tout ce que je puis faire pour toi !
Le troisième jour de sa détention, Le Royal de Beaurevers vit entrer plusieurs archers escortant deux hommes en robe noire. L’un était le commissaire royal chargé de l’interroger, l’autre son greffier. Le commissaire, le voyant paisible, renvoya les archers. Puis il repoussa la porte. Puis il se mit à lui parler à voix basse :
– Vous êtes accusé de lèse-majesté. Qu’avez-vous à dire ?
– C’est vrai, gronda Beaurevers. Je l’avoue. Je le proclame. Mais quand on saura pourquoi, dans les lices de…
– Plus bas ! Plus bas ! fit le commissaire.
– Pourquoi j’ai frappé de ma lance le roi Henri…
– Qui vous parle de cela, voyons ?
– Je ne suis donc pas accusé de régicide ?…
– Régicide ? Perdez-vous déjà la tête ? Qui a frappé Sa Majesté d’un coup de lance maladroit ? C’est le sire de Montgomery, qui désespéré de ce malheur, a disparu…
Le Royal écoutait avec stupeur. Et comment eût-il pu comprendre que Catherine de Médicis ne voulait pas qu’on pût soupçonner un meurtre ! Et qu’il fallait que Paris crût à un accident !…
– Diable ! continuait le commissaire, toujours à voix basse, comme vous y allez, mon cher ! Si vous étiez accusé de régicide, vous auriez le poignet droit coupé, la langue arrachée, et vous subiriez le supplice d’être tiré à quatre chevaux. Lèse-majesté, voilà tout ! Et c’est déjà bien assez. Car vous devriez être pendu, avec estrapade !… Au lieu de cela, vous aurez simplement le cou tranché. Vous serez reconnaissant de cette faveur à Sa Majesté la reine !…
Le Royal de Beaurevers eut un éclair de joie. Il songea :
– Elle ne verra pas mon cadavre se balancer au gibet…
– Vous êtes donc accusé de lèse-majesté, poursuivit le commissaire pour avoir attiré le roi dans un logis de la rue Calandre, de l’y avoir détenu, de l’avoir menacé…
Le prisonnier avoua tout ce qu’on voulut.
Le Royal de Beaurevers ne vit plus personne.
Il ne vivait plus qu’avec deux images penchées sur lui : Florise et Marie de Croixmart… Sa fiancée ! Sa mère !…
Le neuvième jour, à la nuit, des gardes vinrent le chercher, lui firent monter des escaliers et l’introduisirent dans une vaste salle située au rez-de-chaussée. Le prisonnier avait les mains solidement attachées au dos. Les gardes étaient tous armés. Mais quand il apparut, un long murmure traduisit la terreur des gardes :
– Le Royal de Beaurevers !…
Au fond, il y avait sur une estrade sept ou huit hommes solennels. L’un d’eux se mit à questionner le prisonnier qui répondit « oui » à chaque question. Un autre parla dix minutes. Puis tous ensemble, ils tinrent conciliabule. Et enfin, il y en eut un qui se mit à lire un grimoire qui signifiait ceci :
Le Royal de Beaurevers était déclaré coupable de lèse-majesté. Il était condamné à avoir la tête tranchée par l’exécuteur sur un échafaud dressé en place de Grève. L’exécution aurait lieu le lendemain matin à 9 heures.
Il restait au Royal trente-six heures à vivre.