I EN CAMPAGNE

Nous ramènerons le lecteur à cette nuit du samedi au dimanche où Djinno conduisit Roland de Saint-André dans les fossés Mercœur, sur les derrières de l’hôtel du maréchal.

La galerie qui aboutissait aux coffres dans les caves du maréchal, apparut aux yeux de Roland dès que Djinno eut fait tomber la mince couche de plâtras qui dissimulait l’ouverture. Les quatre gaillards en question étaient là. La charrette annoncée attendait sur le talus. En moins d’une heure, les fameux sacs furent transportés sur la charrette.

Lorsqu’il n’y eut plus qu’un sac à prendre, Djinno ricana :

– Ne laisserez-vous pas cette consolation à votre père ?

– Non, non ! rugit Roland. Je veux tout !

Le dernier sac alla rejoindre les autres.

– Où allons-nous mettre ces millions ? dit le petit vieux.

– Des millions ! délirait Roland. Et tout cela est à moi !…

– À vous. À vous seul. Il y en a au moins six.

– Six millions ! Portons-les à mon hôtel de la rue Béthisy.

– Où M. le maréchal viendra tout fouiller dès qu’il trouvera son armoire vide. Nous avons songé à cela aussi.

La charrette se mit en marche. On arriva à une courtille enclose de murs, où il y avait une maison et un puits.

– Cette maison est à vous. On vous la donne, dit Djinno. Le puits est desséché. Cela fera un excellent coffre.

– Oui. Un coffre où vous pourrez puiser, moi absent.

– Si nous avions voulu ces millions, nous n’avions qu’à les prendre sans vous en parler !

– C’est vrai, c’est vrai ! bégaya Roland.

Il éventra l’un des sacs, bourra sa ceinture, ses poches, les fontes de sa selle, de belles pièces d’or rutilantes. Puis les sacs furent précipités au fond du puits. On jeta dessus des pierres et de la terre. Puis Djinno remit à Roland les clefs de la courtille et de la maison.

Lorsque Djinno, ses quatre compagnons, la charrette eurent disparu, Roland se pencha sur le puits et demeura là, longtemps, méditatif. Il songeait au coup terrible qu’il portait à son père… Il songeait que, en somme, il était plus vil que ces truands qu’il voyait pendre, et qui avaient au moins risqué leur vie pour dévaliser un bourgeois.

– Truand ! cria distinctement une voix dans la nuit.

Il bondit. Durant une heure il écouta. Il n’entendit plus rien.

– Je n’ai rien entendu bégaya-t-il. C’est la peur… Allons ! Je suis riche. Et maintenant, à Pierrefonds !…

*

* *

La rue des Francs-Bourgeois était aussi importante que de nos jours pour son commerce. Le commerce a changé. Alors, on y louait des arquebuses, des rapières, de bonnes dagues et des pistolets qui ne manquaient jamais leur coup. En louant l’arquebuse, on louait ipso facto l’arquebusier, en louant la rapière, on acquérait du coup le bravo qui allait la manœuvrer.

Un cabaret servait de marché ; il y avait une cote ; les prix variaient aussi selon les saisons, selon la qualité du dos qu’il fallait daguer ou de la poitrine qu’il fallait arquebuser.

Roland de Saint-André, sur le coup de 3 heures du matin, entra dans ce cabaret, fit venir le patron, aligna un certain nombre de piles d’écus, et indiqua ce qu’il lui fallait. Le patron sortit et revint une heure plus tard ; une vingtaine de cavaliers assez bien montés l’accompagnaient, tous gens sentant d’une lieue le guet-apens et le meurtre. Le chef se nommait Lorédan.

Il entra seul dans le cabaret ; Roland lui expliqua ce dont il s’agissait ; on convint du prix, dont Roland versa moitié.

– Maintenant, dit Lorédan, nous sommes à vous.

Le dimanche matin, les dagues, les rapières louées par Roland prirent au grand trot la route de Picardie, et, quelques heures plus tard, cette troupe s’arrêta sous les hautes murailles de Pierrefonds.

Les chevaux installés dans les étables et les sacripants remisés en l’unique auberge du pays, Lorédan et Roland de Saint-André grimpèrent jusqu’aux abords des ponts-levis.

– Au large ! crièrent des sentinelles dans les créneaux.

Là-haut, dans la guérite du veilleur, il y eut un mugissement de trompe. Dans les cours de la forteresse, on entendit comme un bruit de prise d’armes. Roland et Lorédan dégringolèrent l’escarpement. Roland était pâle. Lorédan hochait la tête.

– Nous n’entrerons jamais là-dedans, dit-il.

– Avant mercredi, j’y serai, répondit Roland.

– Pourquoi avant mercredi ?

– Parce que ce jour-là le roi de France y entrera, lui ! Pierrefonds n’est pas à lui. Mais il sera bien accueilli !

– Les vingt braves que j’ai amenés sont inutiles, dit Lorédan. La ruse doit ici remplacer la force…

– Avant mercredi, dit Roland, j’entrerai ou je serai mort.

L’auberge était placée au pied du géant. Elle avait la spécialité de ravitailler MM. les officiers de la garnison en pâtés de faisans et venaisons. De plus, on y tenait buvette pour les archers, les arquebusiers et les moines de Saint-Jean qui y faisaient escale avant de monter au château. Maître Tiphaine, patron de cette auberge, était un homme de cinquante ans, sec, quelque peu sombre.

Il était marié à une jeune Normande de vingt-quatre ans, une de ces silencieuses gaillardes dont l’œil vous raconte tout de suite le genre de poésie qu’elles préfèrent. Tiphaine, de temps à autre, répétait à Martine :

– Si jamais tu me trompes, je te tue.

– Bah ! se disait-elle, je ne serai jamais tuée qu’une fois !

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