I GARDES DU CORPS

Si le lecteur a oublié peut-être que Le Royal avait donné rendez-vous chez Myrta à Bouracan, Strapafar, Corpodibale et Trinquemaille, eux n’avaient garde de l’oublier.

Ils arrivèrent donc rue des Lavandières. Lorsqu’ils furent arrivés, ils demeurèrent consternés, n’en pouvant croire leurs yeux. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence ; il n’y avait plus d’auberge !

Les quatre estafiers songèrent à s’informer des moyens de retrouver Beaurevers. Trinquemaille, que son caractère onctueux et papelard appelait aux délicates missions, fut délégué vers un bourgeois ventru et congestionné, lequel, établi tripier et marchand de rogatons à quelques pas de l’auberge, avait tout vu et pour la septième fois depuis le matin, recommençait le récit de l’incendie.

Notre bourgeois avait réellement tout vu. Sollicité par Trinquemaille et enchanté de trouver un auditeur de bonne, volonté, il recommença une huitième fois son poème. Lorsqu’il eut terminé, Trinquemaille était pâle et tremblant.

– Mes enfants, nous sommes perdus, dit-il à ses acolytes.

– Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?

– Le Royal est mort ! Attaqué par une bande de ruffians du guet, il s’est enfermé dans l’auberge, à laquelle il a mis le feu plutôt que de se rendre vif. Honneur à sa mémoire !

Ils se regardèrent et se firent pitié les uns aux autres. Pour la première fois de leur vie, ils connaissaient la douleur. Et cette douleur n’était pas seulement sincère, elle était désintéressée.

Désemparés, ils partirent pour aller à l’aventure. À ce moment, Trinquemaille se sentit arrêté par le manteau :

– Myrta !…

– Chut ! Et suivez-moi tous quatre.

Ils suivirent, le cœur battant. Myrta les fit entrer dans le logis de la Dame sans nom, où, la Margotte, stylée par Myrta, leur servit d’un certain vin, qui suscita en eux une véritable vénération. Et alors, Myrta :

– Il n’est pas mort !…

Pas mort ! Ils en ouvrirent des yeux féroces. Mais tout aussitôt, se poussant du coude, haussant les épaules et souriants, bien que les voix éraillées fussent un peu tremblantes :

– Je le disais, té ! Il ne pouvait mourir comme ça !

– Palsambleu ! je disais que saint Pancrace ne pouvait s’être ainsi comporté envers Le Royal de Beaurevers !

– Jo lo disais. La prima spada du monde et d’ailleurs !

– C’hallais le tire. C’être bas bossible.

Myrta les connaissait : elle vit clairement leur ravissement.

– Voici, dit-elle. Le Royal n’est pas mort. Il est blessé. Il a été transporté dans une maison de la rue de la Tisseranderie. Il y a une demi-heure, il en est sorti. Gilles l’a suivi et vu entrer dans un hôtel de la rue Froidmantel. Il y a un pont-levis, vous le reconnaîtrez. Dans la rue, il y a le cabaret de la Truie-Blanche. Or, Le Royal est traqué par les gens de Saint-André, par les gens du chevalier du guet, par les gens du grand-prévôt, par les gens du roi. Tout ce qu’il y a à Paris de bourreaux et de valets de bourreaux est à ses trousses. Il s’agit de le surveiller, de le protéger, de mourir pour lui ou avec lui. Voulez-vous veiller sur lui ? Je vous embauche. Vous vous installez à la Truie. C’est moi qui paie toute la dépense et je vous donne en plus, à chacun, deux écus par jour. Cent écus sont en outre assurés à chacun de vous à la fin de cette campagne. Acceptez-vous ?

Il y eut des grognements, des rugissements, de furieux appels du pied, de grands gestes à tout pourfendre !…

– Gardes du corps du Royal ! Ça nous va, milodious !

– Ça nous va ! Et les écus aussi ! dit Trinquemaille.

– À la Truie ! vociféra Corpodibale.

– Forvertz ! rugit Bouracan.

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