II LE CONSEILLER INVISIBLE

Une semaine s’écoula, pendant laquelle les divers acteurs de la bataille engagée parurent reprendre haleine. En réalité les acteurs de ce drame étaient arrivés à un point où tous avaient reçu le suprême avertissement de la destinée. Le roi Henri, Catherine de Médicis, Montgomery, Roncherolles, Saint-André, son fils Roland, Lagarde, Marie de Croixmart, Le Royal de Beaurevers, Florise, chacun de ces êtres se disait que l’heure approchait où il allait se passer quelque chose d’effrayant dans son existence…

Sur toutes ces angoisses planait la figure de Nostradamus.

On touchait à juin. Paris était paisible. Depuis quelque temps les prédications contre les huguenots baissaient de ton. Le temps et les consciences étaient au beau fixe… En attendant la tempête !

Le soir du 30 mai de l’an 1559, il y eut au Louvre un conseil secret auquel prirent part Henri II, Jacques d’Albon de Saint-André, maréchal de France, Roland de Saint-André, fils du maréchal, Gaétan de Roncherolles grand-prévôt royal de la ville de Paris, le révérend père Ignace de Loyola, Gabriel de Montgomery capitaine général du Louvre.

Quant à Catherine de Médicis, on ne l’appelait jamais. Seulement, elle assistait tout de même au conseil, comme on va le voir.

Il s’agissait de Nostradamus.

Tout le monde était d’accord. Le roi n’avait qu’à confirmer ce qu’il avait murmuré à Roncherolles ou à Saint-André : son désir d’être débarrassé du sorcier…

Le moine, miné par la maladie, grelottant de fièvre, avait affirmé avec une terrible froideur qu’il ne s’en irait pas de Paris laissant derrière lui une aussi formidable insulte à la religion : la sorcellerie tolérée en plein cœur du royaume chrétien. Roland avait assuré qu’on ferait d’une pierre deux coups et que, d’après les rapports de Lagarde, Le Royal s’était réfugié en l’hôtel du sorcier. Montgomery avait dit que cet homme en savait trop et était une menace pour la sûreté de l’État. Saint-André avait raconté en pâlissant qu’une aventure qui venait de lui arriver à lui et à Roncherolles lui faisait croire que, depuis la présence de Nostradamus à Paris, le temps des miracles infernaux était revenu. Roncherolles avait dit que l’affluence à l’hôtel de la rue Froidmantel était un scandale menaçant la sûreté de Paris.

Lorsque tout le monde eut donné son avis, le roi, les yeux fixes, la physionomie bouleversée, parut lutter contre un dernier conseiller invisible. Sûrement, quelqu’un était près de lui – quelqu’un qu’on ne voyait pas et qui lui parlait. Le roi, du geste, refusait ; de la voix, il grondait ; parfois il écumait. Loyola priait. Les autres claquaient des dents. Seuls Roncherolles et Saint-André regardaient cela avec la farouche curiosité de gens qu’un tel spectacle ne pouvait étonner. Enfin Henri rugit :

– Je veux que cet homme soit arrêté. Je veux qu’on instruise son procès. Je veux qu’il périsse par le feu sur la Grève !

– Dieu soit loué ! dit Loyola avec ferveur.

Le roi se retira aussitôt dans ses appartements. Le moine partit aussi ; on dut le porter à sa litière. Demeurés seuls, les hommes de guerre firent leur plan. Ils résolurent de s’adjoindre Lagarde. Ils convinrent que cent archers du guet suffiraient pour l’arrestation de Nostradamus et de son hôte Beaurevers. Enfin, ils résolurent d’agir le lendemain vers le milieu de la nuit, Montgomery se retira en songeant :

– La reine est sauvée. Quand je devrais y laisser ma vie, cet homme qui sait le terrible secret mourra de ma main.

– Florise est à moi, songea Roland de Saint-André.

Le maréchal et le grand prévôt, restés seuls, se regardèrent.

– Crois-tu que nous puissions les arrêter ? fit Saint-André.

– Je ne sais pas ! répondit sourdement Roncherolles.

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