I

Voici l’hiver. J’en aime les premières tristesses, douces comme des mélancolies, l’odeur forte des feuilles tombées et le frisson matinal de la rivière. Parfois, je prends ma barque, je vais m’attacher au fond du petit bras, entre les deux îles. Et là, dans cette mort sereine de l’été, je suis enfin seul, retiré du monde, pareil à un ermite des vieux âges.

Ah ! que tout est loin et que tout semble petit ! Pourquoi donc me suis-je passionné hier et quelle sotte ambition avais-je d’affirmer la vérité ? À cette heure, je me sens perdu comme un atome au sein de la vaste nature, je ne sais plus ce qui est vrai dans notre agitation de fourmilière, dans ces batailles de la littérature et de la politique, que nous croyons décisives et qui ne courbent pas même les grands roseaux des berges. Ce que je sais, c’est que nous sommes emportés ainsi que des brins de paille au milieu de l’éternel labeur du monde, et que cela rend modeste et sage, lorsqu’on entend ce travail de la terre, seul, par une matinée d’automne.

Les eaux passent largement, quelques fins nuages, d’une blancheur de duvet, volent dans le ciel pâle, tandis qu’un silence frissonnant descend des arbres. Et je n’ai plus qu’un désir, celui de m’anéantir là, de m’abandonner à ces eaux, à ces nuages, de me perdre au fond de ce silence. Cela est si bon, de cesser les querelles de son doute et de s’en remettre à cette sérénité de la campagne, qui, elle, fait sa besogne sans un arrêt et sans une discussion ! Demain, nous reprendrons nos vaines disputes. Aujourd’hui, soyons forts et inconscients comme ces chevaux qu’on lâche dans des îles, avec de l’herbe jusqu’au ventre.

Toute ma jeunesse s’éveille. Je me rappelle le temps où nous partions en bande pour découvrir la Seine, à quelques lieues de Paris. L’heureuse époque, où l’on espérait tout conquérir, sans avoir encore rien à garder !

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