II

C’était un hameau, éloigné du chemin de fer, ce qui expliquait son isolement. Les maisons s’en allaient à la débandade sur une berge élevée ; pourtant, lors des grandes crues, il arrivait parfois que la rivière entrait chez les habitants, et ils en étaient réduits à se visiter en barque. L’été, on descendait à la Seine par un talus gazonné où se croisaient des sentiers. Nous avions trouvé là un hôte bonhomme qui mettait toute son auberge à notre disposition. Les clients étaient rares, il n’avait que quelques paysans, le dimanche ; aussi était-il enchanté de cette aubaine de Parisiens, dont la bande lui arrivait pour des semaines.

Pendant trois ans, nous fûmes les rois de la contrée. L’auberge était petite ; quand nous tombions une douzaine, il fallait chercher des chambres dans le village. J’avais choisi pour moi une chambre chez le maréchal ferrant. J’ai toujours devant les yeux cette vaste pièce, avec son armoire de chêne colossale, ses murs blanchis à la chaux où étaient collées des images, sa cheminée de plâtre sur laquelle s’étalait tout un luxe de paysan, des fleurs en papier sous verre, des boîtes dorées, gagnées dans les foires, des coquillages rapportés du Havre. Il fallait une échelle pour monter sur le lit. La pièce sentait le linge frais, la dernière lessive dont l’armoire était pleine.

C’était la chambre de sa fille aînée que le maréchal me cédait, et des jupes d’indienne, des corsages de toile pendaient encore à des clous. La bande me plaisantait, en disant que je dormais là en plein dans les jupons. Le fait est que toute cette garde-robe de paysanne me troublait un peu. J’avais parfois la curiosité de visiter l’armoire et d’examiner les effets pendus. Quelle gaillarde ! les ceintures de ces robes n’étaient pas trop étroites pour moi, et deux Parisiennes auraient dansé dans un de ces corsages. Un soir, je découvris un corset, derrière une pile de serviettes ; je fus stupéfait, c’était une vraie armure, une cuirasse bardée de baleines, grande à y mettre le torse de la Vénus de Milo. D’ailleurs, la seconde année de notre séjour, la belle Ernestine épousa un boucher de Poissy.

À quatre heures, le matin, des hirondelles qui avaient fait leur nid en haut de la cheminée, me réveillaient par un bavardage aigu. Pourtant, je me rendormais ; mais, vers six heures, j’entrais dans un branle assourdissant. En bas, le maréchal se mettait à la besogne. Ma chambre était juste au-dessus de la forge. Le soufflet ronflait avec une violence de tempête, les marteaux tombaient en cadence sur l’enclume, toute la maison sautait à cette musique. Mon lit, les premiers matins, me sembla secoué si rudement, que je dus me lever ; puis, je m’habituai, et, quand j’étais très las, les marteaux finissaient par me bercer.

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