IV

Quand nous sortions du bois, c’était comme un réveil. Il faisait grand jour encore sur le plateau. Nous nous retournions une dernière fois, vaguement inquiets de cette masse de ténèbres que nous laissions derrière nous. La vaste plaine, à nos pieds, s’étendait sous un air bleuâtre, qui se fonçait dans les creux et tournait au lilas. Un dernier rayon de soleil frappait un coteau lointain, pareil à un champ d’épis mûrs. Un bout argenté de la Bièvre luisait comme un galon, entre les peupliers. Cependant, nous dépassions, à droite, la Vallée aux Loups ; nous suivions le bord du plateau, jusqu’à la route de Robinson, qui dévale le long de la côte ; et, dès que nous descendions, nous entendions la musique des chevaux de bois et les grands rires des gens qui dînaient dans les arbres.

Je me rappelle certains soirs. Nous traversions Robinson, par curiosité pour toute cette joie bruyante. Des lumières s’allumaient dans les châtaigniers, tandis qu’un bruit de fourchettes venait d’en haut ; on levait la tête, on cherchait le nid colossal où l’on trinquait si fort. L’explosion sèche des carabines coupait par moments les valses interminables des orgues de Barbarie. D’autres dîneurs, dans des bosquets, au ras de la route, riaient au nez des passants. Parfois, nous nous arrêtions, nous attendions là le dernier train.

Et quel retour adorable, dans la nuit claire ! Dès qu’on s’éloignait de Robinson, tout ce vacarme s’éteignait. Les couples, qui regagnaient le chemin de fer, marchaient avec lenteur. Sous les arbres, on ne voyait que les robes blanches, des mousselines légères flottant ainsi que des vapeurs envolées des herbes. L’air avait une douceur embaumée. Des rires passaient comme des frissons ; et, dans ce calme, les bruits portaient très loin, on entendait, sur les autres routes, en haut de la côte, des voix alanguies de femmes qui chantaient quelque chanson, un refrain dont la bêtise prenait un charme infini, bercée ainsi par l’air du soir. De grands vols de hannetons donnaient aux arbres un bourdonnement. Quand il faisait chaud, ces lourdes bêtes ronflaient jusqu’à la nuit aux oreilles des promeneurs ; les filles avaient de petits cris, des jupes fuyantes passaient rapidement avec un bruit de drapeau ; pendant que, là bas, sans doute dans le cabaret de la mère Sens, un sonneur de cor jetait une fanfare, qui arrivait, mélancolique et perdue, comme du fond d’un bois légendaire. La nuit devenait noire, les rires se mouraient, et l’on n’apercevait plus, dans les ténèbres, que le quinquet éclatant de la station de Fontenay-aux-Roses.

À la gare, on s’écrasait. C’était une petite gare, avec une salle d’attente très étroite. Les jours où un orage éclatait, les promeneurs éreintés étouffaient là-dedans. Les beaux soirs, on restait dehors. Toutes les femmes emportaient des brassées de fleurs. Et les rires recommençaient, fouettés par l’impatience. Puis, dès qu’on s’était entassé dans les wagons, les voyageurs souvent, d’un bout à l’autre du train, entonnaient le même refrain imbécile, concert formidable qui dominait le bruit des roues et le ronflement de la locomotive. Les fleurs débordaient des portières, les femmes agitaient leurs bras nus, se renversaient au cou de leurs amoureux. C’était la jeunesse ivre de printemps qui rentrait dans Paris.

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