VI

Je descendis les trois planches, je me trouvai de nouveau dans la foule, décidé à chercher Celle qui m’aime, maintenant que je connaissais son sourire.

Les lampions fumaient, le tumulte croissait, le peuple se pressait à renverser les baraques. La fête en était à cette heure de joie idéale, où l’on risque d’avoir le bonheur d’être étouffé.

J’avais, en me dressant, un horizon de bonnets de linge et de chapeaux de soie. J’avançais, poussant les hommes, tournant avec précaution les grandes jupes des dames. Peut-être était-ce cette capote rose ; peut-être cette coiffe de tulle ornée de rubans mauves ; peut-être cette délicieuse toque de paille à plume d’autruche. Hélas ! la capote avait soixante ans ; la coiffe, abominablement laide, s’appuyait amoureusement à l’épaule d’un sapeur ; la toque riait aux éclats, agrandissant les plus beaux yeux du monde, et je ne reconnaissais point ces beaux yeux.

Il y a, au-dessus des foules, je ne sais quelle angoisse, quelle immense tristesse, comme s’il se dégageait de la multitude un souffle de terreur et de pitié. Jamais je ne me suis trouvé dans un grand rassemblement de peuple sans éprouver un vague malaise. Il me semble qu’un épouvantable malheur menace ces hommes réunis, qu’un seul éclair va suffire, dans l’exaltation de leurs gestes et de leurs voix, pour les frapper d’immobilité, d’éternel silence.

Peu à peu, je ralentis le pas, regardant cette joie qui me navrait. Au pied d’un arbre, en plein dans la lumière jaune des lampions, se tenait debout un vieux mendiant, le corps roidi, horriblement tordu par une paralysie. Il levait vers les passants sa face blême, clignant les yeux d’une façon lamentable, pour mieux exciter la pitié. Il donnait à ses membres de brusques frissons de fièvre, qui le secouaient comme une branche sèche. Les jeunes filles, fraîches et rougissantes, passaient en riant devant ce hideux spectacle.

Plus loin, à la porte d’un cabaret, deux ouvriers se battaient. Dans la lutte, les verres avaient été renversés, et à voir couler le vin sur le trottoir, on eût dit le sang de larges blessures.

Les rires me parurent se changer en sanglots, les lumières devinrent un vaste incendie, la foule tourna, frappée d’épouvante. J’allais, me sentant triste à mourir, interrogeant les jeunes visages, et ne pouvant trouver Celle qui m’aime.

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