V

Il était fort tard, lorsque Sœur-des-Pauvres revint au logis. Guillaume et Guillaumette s’étaient endormis, las de colère et de menaces. Elle entra par la porte de l’étable, qui ne fermait qu’au loquet. Elle gagna vite son grenier, où elle trouva sa bonne amie la lune, si claire, si joyeuse, qu’elle paraissait connaître le bel emploi de la journée. Souvent le ciel nous remercie ainsi par de plus clairs rayons.

L’enfant se sentait grand besoin de repos. Mais, avant de se mettre au lit, elle voulut revoir le sou miraculeux, celui qui se trouvait au fond du sac. Il avait tant et si bien travaillé, qu’il méritait vraiment d’être baisé. Elle s’assit sur le coffre, elle se mit à vider la bourse, posant les poignées de monnaie à ses pieds. Un quart d’heure durant, elle tâcha d’atteindre le fond ; le tas lui montait aux genoux, et alors elle désespéra. Elle voyait bien qu’elle emplirait le grenier, sans avancer en rien la besogne. Fort embarrassée, elle ne trouva rien de mieux que de tourner lestement le petit sac à l’envers. Il y eut un éboulement de gros sous prodigieux ; la mansarde en fut, du coup, pleine au trois quarts. Le sac était vide.

Cependant, à ce bruit, Guillaume s’éveilla. Le cher homme, bien qu’il n’eût pas ouï dans son sommeil l’écroulement du plancher, aurait ouvert les yeux pour un liard tombé sur les dalles. Il secoua Guillaumette.

– Hé ! femme, dit-il, entends-tu ?

Et comme la vieille balbutiait, de méchante humeur :

– La petite est rentrée, reprit-il. Je crois qu’elle a volé quelque passant, car j’entends là-haut le tintement d’une grosse bourse.

Guillaumette se souleva, sans plus gronder et fort éveillée. Elle alluma vite la lampe en disant :

– Je savais bien que cette fille était vicieuse.

Puis, elle ajouta :

– Je m’achèterai une coiffe à rubans et des souliers de coutil. Dimanche, je serai fière.

Alors tous deux, à peine vêtus, Guillaume allant le premier, Guillaumette élevant la lampe, montèrent à la mansarde. Leurs ombres, maigres et bizarres, s’allongeaient le long des murs.

Au haut de l’échelle, ils s’arrêtèrent d’étonnement. Il y avait sur le sol une couche de pièces épaisse de trois pieds, cela dans tous les coins, sans qu’il fût possible d’apercevoir large comme la main de plancher. Par endroits, s’élevaient des tas de monnaie ; on eût dit les vagues de cette mer de gros sous. Au milieu, entre deux de ces tas, dormait Sœur-des-Pauvres, dans un rayon de lune. L’enfant, cédant au sommeil, n’avait pu gagner son lit ; elle s’était laissée glisser doucement ; elle rêvait du ciel, sur cette couche faite d’aumônes. Les bras ramenés contre la poitrine, elle tenait dans sa main droite le magique cadeau de la mendiante. Son souffle faible et régulier s’entendait au milieu du silence ; tandis que l’astre bien-aimé, se mirant autour d’elle dans la monnaie neuve, l’entourait comme d’un cercle d’or.

Guillaume et Guillaumette n’étaient pas bonnes gens à longtemps s’étonner. Le miracle étant à leur profit, ils ne songèrent guère à l’expliquer, se souciant peu qu’il fût œuvre du bon Dieu ou du diable. Lorsqu’ils eurent un instant compté le trésor des yeux, ils voulurent s’assurer qu’il n’était pas seulement jeu de l’ombre et reflet de lune. Ils se baissèrent avidement, les mains grandes ouvertes.

Or, ce qu’il advint alors est si peu croyable, que j’hésite à le dire. À peine Guillaume eut-il pris une poignée de pièces, que ces pièces se changèrent en énormes chauves-souris. Il ouvrit les doigts avec terreur, et les vilaines bêtes s’échappèrent, poussant des cris aigus, le frappant à la face de leurs longues ailes noires. Guillaumette, de son côté, saisit une nichée de jeunes rats, aux dents blanches et fines, qui la mordirent cruellement en s’enfuyant le long de ses jambes. La vieille femme, que la vue d’une souris faisait évanouir, se mourait de les sentir courir dans ses jupes.

Ils s’étaient dressés, n’osant plus caresser cet argent si neuf d’apparence, mais si déplaisant au toucher. Ils se regardaient mal à l’aise, s’encourageaient avec ces regards, moitié riants, moitié fâchés, d’un enfant que vient de brûler une friandise trop chaude. Guillaumette céda la première à la tentation ; elle allongea ses bras maigres et prit deux nouvelles poignées de sous. Comme elle serrait les poings, pour ne rien laisser échapper, elle poussa un grand cri de douleur ; car, à la vérité, elle avait saisi deux poignées d’aiguilles si longues, si pointues, que ses doigts se trouvaient comme cousus aux paumes de ses mains. Guillaume, à la voir se baisser, voulut sa part du trésor. Il se hâta, mais ne ramassa pour tout butin que deux belles pelletées de charbons ardents qui brûlèrent comme poudre sur sa peau, tant ils étaient enflammés.

Alors, rendus furieux par la souffrance, ils se précipitèrent sur les gros sous, fouillant en plein tas, cherchant à gagner le miracle de vitesse. Mais les gros sous n’étaient pas sous à se laisser surprendre. À peine touchés, ils s’envolaient on sauterelles, rampaient en serpents, fuyaient en eau bouillante, se dissipaient en fumée ; toute forme leur semblait bonne, et ils ne s’en allaient pas sans avoir quelque peu brûlé ou mordu les voleurs.

Il y avait là une effrayante fécondité, si rapide, donnant naissance à tant de créatures différentes, qu’une inexprimable terreur régnait. Crapauds-volants, hiboux, vampires, phalènes, se pressaient à la lucarne, battant de l’aile, s’échappant par grandes volées. Les scorpions, les araignées, tous les hideux habitants des lieux humides, gagnaient les coins par longues files effarouchées ; le grenier, bien que fort lézardé, n’avait pas assez de trous pour eux, et ils étaient là, se poussant, s’écrasant dans les fentes.

Guillaume et Guillaumette, fous d’épouvante, couraient, emportés dans le vertige de cette étrange création. À droite, à gauche, de toutes parts, ils hâtaient l’éclosion de nouveaux êtres. De leurs doigts ruisselait la vie. Le flot vivant montait. Ce trésor, où tantôt se mirait la lune, n’était plus qu’une masse noirâtre qui se mouvait lourdement, se soulevant, s’affaissant sur elle-même, comme fait le vin dans la cuve.

Bientôt pas un gros sou ne resta. Le tas en entier s’était animé. Alors Guillaume et Guillaumette, ne prenant plus que reptiles, s’enfuirent en se jetant à la face deux poignées de couleuvres.

Et, comme s’ils avaient emporté tous les monstres dans ces deux dernières poignées, le grenier se trouva vide. Sœur-des-Pauvres, n’ayant rien entendu, dormait, calme et souriante.

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