Or, il advint qu’une épidémie terrible désola la contrée. Tous les jeunes gens furent frappés, et le plus grand nombre faillit en mourir.
Les symptômes du fléau étaient terrifiants. Le cœur cessait de battre, la tête se vidait, le moribond s’abêtissait. Les jeunes hommes, pareils à des pantins ridicules, se promenaient en ricanant, en achetant des cœurs à la foire, comme les enfants achètent des bâtons de sucre d’orge. Quand l’épidémie s’attaquait à de braves garçons, le mal se manifestait par une tristesse noire, une désespérance mortelle. Les artistes pleuraient d’impuissance devant leurs œuvres, les amants inassouvis allaient se jeter dans les rivières.
Vous pensez que la belle enfant sut se distinguer, en cette circonstance grave. Elle établit des ambulances, elle soigna les malades nuit et jour, usant ses lèvres à fermer les blessures, remerciant le ciel de la grande tâche qu’il lui donnait.
Elle fut une providence pour les jeunes hommes. Elle en sauva un grand nombre. Ceux dont elle ne put guérir le cœur, furent ceux qui n’avaient déjà plus de cœur. Son traitement était simple : elle donnait aux malades ses mains secourables, son souffle tiède. Jamais elle ne demandait un payement. Elle se ruinait avec insouciance, faisant l’aumône à pleine bouche.
Aussi les avares du temps hochaient-ils la tête, en voyant la jeune prodigue disperser de la sorte la grande fortune de ses grâces. Ils disaient entre eux :
– Elle mourra sur la paille, elle qui donne le sang de son cœur, sans jamais en peser les gouttes.