La femme de l’ouvrier est descendue sur le seuil de la porte, laissant en haut la petite endormie. La femme est toute maigre, avec une robe d’indienne. Elle grelotte dans les souffles glacés de la rue.
Elle n’a plus rien au logis ; elle a tout porté au Mont-de-Piété. Huit jours sans travail suffisent pour vider la maison. La veille, elle a vendu chez un fripier la dernière poignée de laine de son matelas ; le matelas s’en est allé ainsi ; maintenant, il ne reste que la toile. Elle l’a accrochée devant la fenêtre pour empêcher l’air d’entrer, car la petite tousse beaucoup.
Sans le dire à son mari, elle a cherché de son côté. Mais le chômage a frappé plus rudement les femmes que les hommes. Sur son palier, il y a des malheureuses qu’elle entend sangloter pendant la nuit. Elle en a rencontré une tout debout au coin d’un trottoir ; une autre est morte ; une autre a disparu.
Elle, heureusement, a un bon homme, un mari qui ne boit pas. Ils seraient à l’aise, si des mortes saisons ne les avaient dépouillés de tout. Elle a épuisé les crédits : elle doit au boulanger, à l’épicier, à la fruitière, et elle n’ose plus même passer devant les boutiques. L’après-midi, elle est allée chez sa sœur pour emprunter vingt sous ; mais elle a trouvé, là aussi, une telle misère qu’elle s’est mise à pleurer, sans rien dire, et que toutes deux, sa sœur et elle, ont pleuré longtemps ensemble. Puis, en s’en allant, elle a promis d’apporter un morceau de pain, si son mari rentrait avec quelque chose.
Le mari ne rentre pas. La pluie tombe, elle se réfugie sous la porte ; de grosses gouttes clapotent à ses pieds, une poussière d’eau pénètre sa mince robe. Par moments, l’impatience la prend, elle sort, malgré l’averse, elle va jusqu’au bout de la rue, pour voir si elle n’aperçoit pas celui qu’elle attend, au loin, sur la chaussée. Et quand elle revient, elle est trempée ; elle passe ses mains sur ses cheveux pour les essuyer ; elle patiente encore, secouée par de courts frissons de fièvre.
Le va-et-vient des passants la coudoie. Elle se fait toute petite pour ne gêner personne. Des hommes la regardent en face ; elle sent, par moments, des haleines chaudes qui lui effleurent le cou. Tout le Paris suspect, la rue avec sa boue, ses clartés crues, ses roulements de voiture, semble vouloir la prendre et la jeter au ruisseau. Elle a faim, elle est à tout le monde. En face, il y a un boulanger, et elle pense à la petite qui dort, en haut.
Puis, quand le mari se montre enfin, filant comme un misérable le long des maisons, elle se précipite, elle le regarde anxieusement.
– Eh bien ! balbutie-t-elle.
Lui, ne répond pas, baisse la tête. Alors, elle monte la première, pâle comme une morte.