En haut, la petite ne dort pas. Elle s’est réveillée, elle songe, en face du bout de chandelle qui agonise sur un coin de la table. Et on ne sait quoi de monstrueux et de navrant passe sur la face de cette gamine de sept ans, aux traits flétris et sérieux de femme faite.
Elle est assise sur le bord du coffre qui lui sert de couche. Ses pieds nus pendent, grelottants ; ses mains de poupée maladive ramènent contre sa poitrine les chiffons qui la couvrent. Elle sent là une brûlure, un feu qu’elle voudrait éteindre. Elle songe.
Elle n’a jamais eu de jouets. Elle ne peut aller à l’école, parce qu’elle n’a pas de souliers. Plus petite, elle se rappelle que sa mère la menait au soleil. Mais cela est loin ; il a fallu déménager ; et, depuis ce temps, il lui semble qu’un grand froid a soufflé dans la maison. Alors, elle n’a plus été contente ; toujours elle a eu faim.
C’est une chose profonde dans laquelle elle descend, sans pouvoir la comprendre. Tout le monde a donc faim ? Elle a pourtant tâché de s’habituer à cela, et elle n’a pas pu. Elle pense qu’elle est trop petite, qu’il faut être grande pour savoir. Sa mère sait, sans doute, cette chose qu’on cache aux enfants. Si elle osait, elle lui demanderait qui vous met ainsi au monde pour que vous ayez faim.
Puis, c’est si laid, chez eux ! Elle regarde la fenêtre où bat la toile du matelas, les murs nus, les meubles éclopés, toute cette honte du grenier que le chômage salit de son désespoir. Dans son ignorance, elle croit avoir rêvé des chambres tièdes avec de beaux objets qui luisaient ; elle ferme les yeux pour revoir cela ; et, à travers ses paupières amincies, la lueur de la chandelle devient un grand resplendissement d’or dans lequel elle voudrait entrer. Mais le vent souffle, il vient un tel courant d’air par la fenêtre qu’elle est prise d’un accès de toux. Elle a des larmes plein les yeux.
Autrefois, elle avait peur, lorsqu’on la laissait toute seule ; maintenant, elle ne sait plus, ça lui est égal. Comme on n’a pas mangé depuis la veille, elle pense que sa mère est descendue chercher du pain. Alors, cette idée l’amuse. Elle taillera son pain en tout petits morceaux ; elle les prendra lentement, un à un. Elle jouera avec son pain.
La mère est rentrée ; le père a fermé la porte. La petite leur regarde les mains à tous deux, très surprise. Et, comme ils ne disent rien, au bout d’un bon moment, elle répète sur un ton chantant :
– J’ai faim, j’ai faim.
Le père s’est pris la tête entre les poings, dans un coin d’ombre ; il reste là, écrasé, les épaules secouées par de rudes sanglots silencieux. La mère, étouffant ses larmes, est venue recoucher la petite. Elle la couvre avec toutes les hardes du logis, elle lui dit d’être sage, de dormir. Mais l’enfant, dont le froid fait claquer les dents, et qui sent le feu de sa poitrine la brûler plus fort, devient très hardie. Elle se pend au cou de sa mère ; puis, doucement :
– Dis, maman, demande-t-elle, pourquoi donc avons-nous faim ?