Et, demain peut-être, le monde entier saura qu’il existe, le petit village.
Ah ! misère ! la rivière sera rouge, le rideau de peupliers aura été rasé par les boulets, les chaumières éventrées montreront le désespoir muet des familles, le petit village sera célèbre.
Plus de chant de laveuses, plus de marmots se roulant sur la berge, plus de récoltes, plus de silence, plus d’humilité heureuse. Un nouveau nom dans l’histoire, victoire ou défaite, une nouvelle page sanglante, un nouveau coin du pays engraissé par le sang de nos enfants.
Il rit, il sommeille, il ignore qu’il donnera son nom à une tuerie, et demain il sanglotera, il retentira dans l’Europe avec des râles d’agonie. Puis, il restera sur la terre comme une tache de sang. Lui, si gai, si tendre, il s’entourera d’un cercle d’ombre sinistre, il verra des visiteurs blêmes passer devant ses ruines, comme on passe devant les dalles de la Morgue. Il sera maudit.
Nous, s’il est Austerlitz ou Magenta, nous l’entendrons sonner dans nos cœurs avec des éclats de clairons. Et, s’il est Waterloo, il roulera lugubrement dans nos mémoires, comme le son d’un tambour voilé d’un crêpe, menant les funérailles de la nation.
Qu’il regrettera alors ses rives solitaires, ses paysans ignorants, son coin perdu, si loin des hommes, connu seulement des hirondelles qui y revenaient à chaque printemps ! Souillé, honteux, avec son ciel empli d’un vol de corbeaux, et ses terres grasses puant la mort, il vivra éternellement dans les siècles, comme un coupe-gorge, un endroit louche où deux nations se seront égorgées.
Le nid d’amour, le nid de paix, le petit village, ne sera plus qu’un cimetière, une fosse commune, où les mères éplorées ne pourront aller déposer des couronnes.