La France a semé le monde de ces cimetières lointains. Aux quatre coins de l’Europe, nous pourrions nous agenouiller et prier. Nos champs de repos ne s’appellent pas seulement le Père-Lachaise, Montmartre, Montparnasse ; ils s’appellent encore du nom de toutes nos victoires et de toutes nos défaites. Il n’y a pas, sous le ciel, un coin de terre où ne soit couché un Français assassiné, de la Chine au Mexique, des neiges de la Russie aux sables de l’Égypte.
Cimetières silencieux et déserts qui dorment lourdement dans la paix immense de la campagne. La plupart, presque tous, s’ouvrent au pied de quelque hameau désolé dont les murs croulants sont encore pleins d’épouvante. Waterloo n’était qu’une ferme, Magenta comptait à peine cinquante maisons. Un vent affreux a soufflé sur ces infiniment petits, et leurs syllabes, la veille innocentes, ont pris une telle odeur de sang et de poudre, qu’à jamais l’humanité frissonnera, en les sentant sur ses lèvres.
Pensif, je regardais une carte du théâtre de la guerre. Je suivais les bords du Rhin, j’interrogeais les plaines et les montagnes. Le petit village était-il à gauche, était-il à droite du fleuve ? Fallait-il le chercher dans les environs des places fortes, ou plus loin, dans quelque solitude large ?
Et j’essayais alors, en fermant les yeux, de m’imaginer celle paix, ce rideau de peupliers tiré devant les maisons blanches, ce bout de prairie que rase le vol des hirondelles, ces chansons des lavandières, cette terre vierge que la guerre va violer, et dont les clairons souffleront brutalement la souillure aux quatre coins de l’horizon.
Où est-il donc, le petit village ?