Et voilà que, brusquement, il s’élève une clameur sourde des coins de la cage. Les boutiques se ferment, le tocsin se lamente d’une voix haletante et inquiète.
Des groupes d’hommes armés envahissent les rues, arrachent les pavés, dressent à la hâte des barricades. Les rugissements de la ville ont cessé ; il y règne un silence lourd et sinistre. Les bêtes humaines se taisent ; elles rampent le long des maisons, prêtes à bondir.
Et bientôt elles bondissent. La fusillade éclate, accompagnée de la voix grave du canon. Le sang coule, les morts s’écrasent la face dans les ruisseaux, les blessés hurlent. Il s’est formé deux camps dans la cage des hommes, et ces animaux s’égaient un peu à s’égorger en famille.
Quand le Lion eut compris ce dont il s’agissait :
– Mon Dieu ! s’écria-t-il, sauvez-nous de la bagarre ! Je suis bien puni d’avoir cédé à la bête d’envie que j’avais de rendre visite à ces terribles carnassiers. Que nos mœurs sont douces à côté des leurs ! Jamais nous ne nous mangeons entre nous.
Et s’adressant à la Hyène :
– Allons, vite, détalons, continua-t-il. Ne faisons plus les braves. Pour moi, je l’avoue, j’ai les os gelés d’épouvante. Il nous faut quitter lestement ce pays barbare.
Alors, ils s’enfuirent honteusement et peureusement. Leur course devint de plus en plus furieuse et emportée, car l’effroi les battait aux flancs et les souvenirs terrifiants de la journée étaient comme autant d’aiguillons qui précipitaient leurs bonds.
Ils arrivèrent ainsi au Jardin des Plantes, hors d’haleine, regardant avec terreur derrière eux. Alors ils respirèrent à l’aise, ils coururent se blottir dans une cage vide dont ils fermèrent vigoureusement la porte. Là, ils se félicitèrent avec effusion de leur retour.
– Ah ! bien ! dit le Lion, on ne me reprendra pas à sortir de ma cage pour aller me promener dans celle des hommes. Il n’y a de paix et de bonheur possibles qu’au fond de cette cellule douce et civilisée.