Chapitre XVIII L’Été décisif

Necker, à qui, à l’heure de la pire détresse, la reine confie le gouvernail de l’État, se montre tout de suite décidé à faire face à la tempête. Il tend hardiment ses voiles, ne louvoie pas longtemps, car les demi-mesures ne servent plus à rien ; une seule convient, radicale et énergique : il faut que la confiance soit complètement déplacée ! En ces dernières années le centre de la confiance nationale s’est éloigné de Versailles. La nation ne croit plus aux promesses du roi, ni à ses assignats, elle n’espère plus rien du Parlement des nobles ni de l’Assemblée des notables ; il faut, du moins pour le moment, créer une autorité nouvelle afin d’affermir le crédit et endiguer l’anarchie ; car un hiver rude a durci les poings du peuple ; à tout instant le désespoir des groupes d’affamés, qui ont fui la campagne pour se réfugier dans les villes, menace d’éclater. Le roi décide donc, au dernier moment, après les hésitations habituelles, de convoquer les États généraux, qui, depuis deux cents ans, représentent vraiment la nation. Pour enlever tout d’abord la majorité à ceux qui détiennent encore les droits et la richesse, c’est-à-dire la noblesse et le clergé, le roi, sur le conseil de Necker, a doublé le tiers état. Les deux forces s’équilibreront donc, et le monarque garde le droit de décider en dernière instance. La convocation de l’Assemblée nationale allégera la responsabilité royale et renforcera son autorité, pense-t-on à la cour.

Mais le peuple est d’un autre avis ; jamais on n’a fait appel à lui et il sait que lorsque les rois demandent conseil à leurs peuples c’est en désespoir de cause, et non par bonté d’âme. Une tâche immense échoit ainsi à la nation, mais c’est aussi une occasion qui ne se représentera plus ; le peuple est décidé à en profiter. Une vague d’enthousiasme déferle à travers les villes et les villages, les élections sont une fête, les réunions des lieux d’exaltation nationale – comme toujours avant les grandes tempêtes la nature connaît les aurores les plus lumineuses et les plus trompeuses. L’œuvre enfin peut commencer : le 5 mai 1789, jour d’ouverture des États généraux, Versailles, pour la première fois, n’est plus seulement la résidence d’un roi, mais la capitale, le cerveau, le cœur et l’âme de toute la France.

Jamais cette petite ville n’a vu tant de gens réunis qu’en ces brillantes journées de printemps de l’année 1789. La cour, comme d’habitude, comprend quatre mille personnes ; la France a envoyé près de deux mille députés, à cela s’ajoutent les innombrables curieux de Paris et de partout qui désirent assister à cet événement historique. Il faut une bourse remplie d’or si l’on veut, non sans difficulté, louer une chambre ; avec une poignée de ducats on n’a qu’un sac de paille, et des centaines de gens, qui n’ont pas trouvé à se loger, couchent sous les porches, cependant que d’autres, ne voulant à aucun prix manquer ce grand spectacle, commencent à faire la haie, en pleine nuit, malgré une pluie battante.

Le prix des vivres triple et quadruple ; l’affluence de monde devient peu à peu inquiétante. Il apparaît déjà symboliquement que cette étroite ville de province ne peut abriter qu’un souverain et non deux. L’un sera à la longue forcé de s’en aller : royauté ou Assemblée nationale ?

Tout d’abord, cependant, il ne s’agira pas de querelle, mais de réconciliation entre le roi et le peuple. Le 4 mai les cloches sonnent depuis l’aube : avant que les hommes ne délibèrent, on invoque sur la grande œuvre la bénédiction de Dieu. Tout Paris se rend à Versailles afin de transmettre aux enfants et petits-enfants le souvenir de ce jour qui marque le commencement d’une ère nouvelle. Des milliers de têtes se pressent aux fenêtres où pendent de précieuses tapisseries ; d’épaisses grappes humaines sont collées aux cheminées, en dépit du danger ; personne ne veut laisser échapper un détail de l’immense procession. Et en effet il est grandiose, ce défilé des états ; pour la dernière fois la cour de Versailles déploie toute sa splendeur, voulant ainsi affirmer de façon frappante aux yeux du peuple qu’elle est la vraie majesté, le maître unique. À dix heures du matin le cortège royal quitte le palais ; les pages à cheval, en livrées flamboyantes, et les fauconniers, l’oiseau au poing, viennent en tête ; puis le somptueux carrosse royal, vitré et doré, s’avance majestueusement, traîné par des chevaux richement harnachés, sur la tête desquels se balancent des plumets bariolés. À la droite du roi a pris place son frère aîné, le cadet occupe le siège, les jeunes ducs d’Angoulême, de Berry et de Bourbon sont installés sur le devant. Des acclamations vibrantes de « Vive le roi ! » saluent ce premier carrosse, ce qui fait un pénible contraste avec le silence dur et irrité au milieu duquel passe le second avec la reine et les princesses. Déjà, à cette heure matinale, l’opinion publique établit très nettement une ligne de démarcation entre le roi et la reine. Le même silence accueille les voitures suivantes dans lesquelles les autres membres de la famille royale roulent d’un pas lent et solennel vers l’église Notre-Dame, où les trois états, deux mille hommes tenant chacun un cierge allumé, attendent la cour pour défiler, tous ensemble, à travers la ville.

Les carrosses s’arrêtent devant l’église. Le roi, la reine et la cour descendent de voiture ; un spectacle inaccoutumé les attend. Les représentants de la noblesse avec leurs éclatants costumes de soie galonnés d’or, le chapeau hardiment relevé et orné de plumes blanches, ils les connaissent évidemment pour les avoir vus à des fêtes et à des bals, ainsi que le clergé avec ses couleurs magnifiques, cardinaux en rouge pourpre, évêques en soutanes violettes – ces deux états entourent fidèlement le trône depuis cent ans, ils ont toujours été la parure de ses fêtes. Mais quelle est cette foule sombre en vêtements noirs que seules éclairent des cravates blanches ? Quels sont ces étrangers en simples tricornes, ces inconnus, aujourd’hui encore tous anonymes, qui forment devant l’église un bloc compact ? Quelles pensées cachent ces hommes au regard audacieux, clair et même sévère ? Le roi et la reine examinent leurs adversaires, qui, forts de leur union, ne s’inclinent pas comme des esclaves et n’éclatent pas en acclamations enthousiastes, mais attendent, dans un mutisme très digne, l’heure où, d’égal à égal, avec tous ces orgueilleux en costumes de parade, ces privilégiés et ces gens aux noms illustres, ils commenceront l’œuvre de restauration pour laquelle on les a convoqués. Leurs vêtements d’un noir terne, leur attitude sévère, impénétrable, ne les font-ils pas ressembler à des juges plutôt qu’à des conseillers dociles ? Peut-être le roi et la reine ont-ils eu, dès ce moment, quant à leur sort, une lugubre appréhension…

Mais cette première rencontre n’est pas une passe d’armes : une heure de concorde va préluder à l’inévitable lutte. En une gigantesque procession ces deux mille hommes, chacun un cierge allumé à la main, parcourent, calmes et graves, le bref trajet de Notre-Dame de Versailles à la cathédrale Saint-Louis, entre la double haie étincelante des gardes françaises et de la garde suisse. Au-dessus d’eux les cloches sonnent, à côté d’eux les tambours battent, les uniformes brillent, et seul le chant spirituel des prêtres atténue le caractère martial de cette cérémonie en même temps qu’il en accroît la solennité.

À la tête de ce long défilé – « les derniers seront les premiers » – les représentants du tiers état s’avancent sur deux files parallèles, derrière eux la noblesse, puis le clergé. Lorsque passent les derniers délégués du tiers, il y a un remous dans la foule ; les spectateurs éclatent en vivats frénétiques. Ces acclamations s’adressent au duc d’Orléans, l’apostat de la cour, qui, par calcul démagogique, a préféré se joindre au tiers état, plutôt que de paraître au milieu de la famille royale. Et le roi lui-même, qui marche derrière le baldaquin recouvrant le Saint-Sacrement – porté par l’archevêque de Paris en surplis incrusté de diamants – n’est pas l’objet d’autant d’ovations que celui qui, publiquement, devant le peuple, se déclare pour la nation et contre l’autorité royale. Voulant encore accentuer cette opposition secrète à l’égard de la cour, quelques-uns choisissent le moment où Marie-Antoinette passe pour acclamer son ennemi et crier – « Vive le duc d’Orléans ! » au lieu de « Vive la reine ! » Marie-Antoinette sent l’offense, se trouble et pâlit ; ce n’est qu’avec peine qu’elle réussit à se maîtriser et à continuer son chemin jusqu’au bout, droite et fière, sans attirer l’attention. Mais dès le lendemain, une autre humiliation l’attend à l’ouverture de l’Assemblée nationale. Tandis qu’on acclame vivement le roi, à son entrée dans la salle, pas une lèvre, pas une main ne bouge quand elle arrive : un silence glacial, évident, l’accueille tel un vif courant d’air. « Voilà la victime », murmure Mirabeau à un de ses voisins ; et un neutre, Gouverneur Morris, exhorte ses amis français à une manifestation qui rendrait ce silence moins blessant, mais sans succès.

« La reine pleure ou semble pleurer, écrit dans son journal ce fils d’une nation libre, mais pas une voix ne s’élève pour elle. J’élèverais certainement la mienne, si j’étais Français ; mais je n’ai pas le droit d’exprimer mes sentiments, et c’est en vain que je prie mes voisins de le faire. »

Pendant trois heures la reine devra rester assise devant les représentants du peuple comme une accusée sur son banc, sans qu’on la salue, sans qu’on fasse attention à elle, ce n’est qu’après l’interminable discours de Necker, au moment où elle se lève pour quitter la salle avec le roi, que quelques délégués mus par la pitié se dressent et crient un faible « Vive la reine ! » Touchée, Marie-Antoinette remercie d’un signe de tête ces isolés, et ce geste allume enfin les acclamations de toute l’assistance. Mais en rentrant au château Marie-Antoinette ne se fait aucune illusion ; elle sent trop bien la différence qu’il y a entre ce salut timide et compatissant et la grande et chaude clameur populaire, dictée spontanément par l’amour qui, jadis, lors de sa première visite à Paris, avait tant ému son cœur d’enfant. Elle sait déjà qu’elle est exclue de la grande réconciliation et qu’une lutte à outrance commence.

Tout le monde, au cours de ces journées, constate l’expression inquiète et troublée de la reine. Même à l’ouverture de l’Assemblée nationale, où elle apparaît vêtue d’une magnifique robe mauve, blanc et argent, la tête ornée d’une superbe plume d’autruche, Mme de Staël remarque dans son attitude un air de tristesse et de dépression qui lui est étranger et qui la surprend chez cette femme ordinairement coquette, gaie et insouciante. Et en effet, ce n’est qu’avec peine et au prix d’un violent effort de volonté que Marie-Antoinette s’est décidée à monter sur cette estrade, mais son esprit et ses inquiétudes sont ailleurs. Car elle sait que pendant qu’elle est obligée de parader devant le peuple des heures durant, de se tenir majestueuse et digne, là-bas, à Meudon, son fils aîné, âgé de six ans, souffre et se meurt dans son petit lit. Déjà l’année précédente elle a eu la douleur de perdre un de ses quatre enfants, la princesse Sophie-Béatrice, qui n’avait que onze mois ; une deuxième fois la mort s’approche de ses enfants et y cherche une victime. Les premiers symptômes d’une prédisposition au rachitisme s’étaient déjà révélés chez son fils en 1788 :

« Mon fils aîné, écrit-elle à ce moment-là à Joseph II, me donne bien de l’inquiétude. Sa taille s’est dérangée, et pour une hanche, qui est plus haute que l’autre, et pour le dos, dont les vertèbres sont un peu déplacées et en saillie. Depuis quelque temps il a toujours la fièvre, il est maigre et affaibli. »

Il y a de temps à autre un mieux illusoire, mais bientôt la mère éprouvée ne conserve plus d’espoir. Le spectacle bariolé et curieux de la procession solennelle, à l’ouverture des États généraux, est le dernier plaisir du pauvre petit malade : enveloppé de manteaux, étendu sur des coussins, car depuis longtemps il est trop faible pour marcher, il peut encore, du balcon des écuries royales, voir passer, de ses yeux battus par la fièvre, son père, sa mère et l’étincelant cortège ; un mois plus tard on l’enterrera.

Cette mort imminente et inévitable assaille en ces jours-là les pensées de Marie-Antoinette, tous ses soucis vont vers son enfant ; rien de plus absurde donc que cette légende, soigneusement entretenue, qui veut qu’en ces terribles semaines de tourments maternels Marie-Antoinette ait, du matin au soir, ourdi contre l’Assemblée les plus sournoises intrigues. À ce moment-là sa combativité était complètement brisée par la douleur et la haine encourue ; plus tard seulement, tout à fait seule, luttant comme une désespérée pour la vie et le trône de son mari et de son deuxième fils, elle se dressera en vue d’une ultime résistance. Mais maintenant ses forces l’abandonnent et il faudrait d’ailleurs la puissance d’un dieu, non celle d’un malheureux être humain, bouleversé par la souffrance, pour arrêter la marche du destin.

Car les événements se suivent avec la rapidité d’un torrent. Quelques jours après, les deux ordres privilégiés, la noblesse et le clergé, sont déjà en pleine rivalité avec le tiers état ; rebuté celui-ci se prononce pour l’Assemblée nationale et fait serment, dans la salle du Jeu de Paume, de ne pas se séparer avant que la volonté du peuple ne soit accomplie et la constitution votée. La cour s’effraie devant le démon populaire qu’elle a, elle-même, été chercher ; tiraillé à droite et à gauche par ses conseillers, ceux qu’il a appelés et ceux qui se sont imposés, donnant raison aujourd’hui au tiers, demain aux ordres privilégiés, hésitant à l’heure même où une extrême lucidité et la plus grande énergie sont indispensables, le roi penche tantôt vers les rodomonts militaires, qui, fidèles à leur arrogance de toujours, veulent qu’on chasse le peuple sabre au clair, tantôt vers Necker qui, sans cesse, pousse aux concessions. Aujourd’hui il interdit au tiers la salle des délibérations, puis il prend peur quand Mirabeau déclare : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. » La fermeté de la nation grandit dans la mesure même où la cour est indécise. Du jour au lendemain la liberté de la presse a démuselé cet être muet qu’était le peuple, et c’est dans des articles enflammés, dans des centaines de brochures qu’il clame son droit et sa fureur révolutionnaire. Au Palais-Royal, sous l’égide du duc d’Orléans, des milliers de gens se réunissent chaque jour, qui parlent, crient, s’agitent et s’excitent mutuellement. Des inconnus, qui jusque-là ont vécu sans parler, découvrent soudain le plaisir de la parole et de l’écriture ; des centaines d’ambitieux et de désœuvrés sentent l’heure favorable, tout le monde fait de la politique, se remue, lit, discute et plaide.

« Chaque heure produit sa brochure, écrit l’Anglais Arthur Young, il en a paru treize aujourd’hui, seize hier et vingt-deux la semaine dernière. Dix-neuf sur vingt sont en faveur de la liberté. »

C’est-à-dire pour l’abolition des privilèges y compris ceux de la monarchie. Chaque jour, presque chaque heure emporte un lambeau de l’autorité royale ; les mots « peuple » et « nation » deviennent, en deux ou trois semaines, de lettres mortes qu’ils étaient, des notions sacro-saintes, synonymes de toute-puissance et de suprême justice. Déjà les officiers, les soldats se joignent à l’irrésistible mouvement, déjà les fonctionnaires de la ville et de l’État s’aperçoivent que devant la force populaire qui se cabre les rênes leur glissent des mains ; l’Assemblée nationale elle-même entre dans ce nouveau courant, perd le sillage dynastique et commence à chavirer. Les conseillers de la cour se montrent de plus en plus inquiets, et comme presque toujours, l’incertitude morale et la crainte qu’elle engendre, croyant trouver un atout dans la violence, tentent d’y recourir : le roi mobilise les derniers régiments sur lesquels il peut compter et finalement, pour se donner à lui-même l’illusion de l’énergie qui lui manque, il provoque la nation en congédiant et en exilant comme un criminel, le 11 juillet, le seul ministre populaire : Necker.

Les jours suivants sont gravés dans l’Histoire d’un trait indélébile ; il existe pourtant un livre dans lequel on essaierait en vain de se renseigner, c’est le journal qu’a écrit de sa propre main le malheureux roi, qui n’a aucune idée de ce qui se passe. Il y note le 11 juillet : « Rien. Départ de M. Necker » et le 14 juillet, jour de la prise de la Bastille, qui brise définitivement sa puissance, encore ce même mot tragique : « Rien », ce qui veut dire qu’il n’y a eu ce jour-là ni chasse, ni cerf tué, donc aucun événement important. À Paris on est d’un autre avis sur cette journée. La nouvelle du renvoi de Necker y parvient dans la matinée du 12 juillet, c’est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Au Palais-Royal Camille Desmoulins, un des membres du club du duc d’Orléans, monte sur une chaise, brandit un pistolet, crie que le roi prépare une Saint-Barthélemy et fait appel aux armes. L’insurrection en un instant a trouvé son emblème : la cocarde aux trois couleurs qui deviendra la bannière de la république ; quelques heures plus tard le peuple attaque partout l’armée, pille les arsenaux, dresse des barricades. Le 14 juillet, vingt mille hommes partis du Palais-Royal marchent sur la Bastille, la forteresse abhorrée, qui est bientôt prise d’assaut, cependant que la tête blême du gouverneur chargé de la défendre tournoie au bout d’une pique : c’est la première fois que luit la lanterne sanglante de la Révolution. Personne n’ose plus résister à cette explosion élémentaire de la fureur populaire, les troupes qui n’ont reçu de Versailles aucun ordre précis se retirent, et le soir tout Paris illumine pour fêter sa victoire.

Pourtant, à six lieues de cet événement mondial, au château de Versailles, personne ne se doute de rien. Maintenant qu’on a renvoyé le ministre gênant, on va enfin avoir la paix, on pourra bientôt retourner à la chasse, peut-être même dès demain. Mais voici qu’arrivent de l’Assemblée nationale messager sur messager : il y a des troubles à Paris, on pille les arsenaux, on marche sur la Bastille. Le roi écoute les rapports, mais ne prend aucune décision réelle. À quoi sert, en somme, cette ennuyeuse Assemblée nationale ? Qu’elle se débrouille ! Comme toujours le sacro-saint programme de la journée est respecté, comme toujours cet homme mou et indolent, dont rien n’éveille la curiosité (il sera temps demain de tout savoir), se couche à dix heures et dort de son profond sommeil qu’aucun bouleversement mondial ne saurait ébranler. Mais quelle époque audacieuse, insolente, anarchique, devenue irrespectueuse au point de troubler le sommeil d’un souverain ! Le duc de Liancourt arrive au galop à Versailles, sur un cheval écumant, afin d’apporter des nouvelles de ce qui se passe à Paris. On lui déclare que sa majesté dort déjà. Il insiste pour qu’on réveille le roi ; on finit par laisser pénétrer le messager dans la chambre sacrée. Il annonce : « La Bastille est prise ! Le gouverneur est assassiné. On porte sa tête sur une pique par toute la ville ! »

– C’est donc une révolte – bégaie, effrayé, le malheureux monarque.

Mais avec une impitoyable cruauté, ce messager de malheur corrige :

– Sire, c’est une révolution.

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