CHAPITRE III. Des Pigeons Messagers, ou Courriers Porteurs de Lettres.

Les Bachas de Turquie, & autres, ont une maniere admirable pour donner des avis en diligence, par le moyen des Pigeons, dans ces lieux écartés ou inaccessibles ; & tout comme le Tasse le décrit dans son Poëme de la Jerusalem délivrée. Pline même entre plusieurs anciennes Histoires, en rapporte une arrivée en Italie parmi les Romains pendant le Siége de Modene. Pour confirmer cette vérité, voici ce que rapporte Pietro Della Vallé dans ses Voyages en Turquie, en Égypte, dans la Palestine, en Perse, & aux Indes Orientales.

Ces jours passés un Chiaoux eut ordre, de la part du premier Visir qui demeure à Alep, d’aller au Caire pour demander des Troupes au Bacha, par un Arabe qui y alla à pied. Et en même tems le Gouverneur du lieu envoya les nouvelles au même Bacha par un Pigeon qui y arriva en un jour, & sçut d’abord ce qui se passoit, c’est-à-dire, la substance de ce que le Messager portoit. Cet homme cependant qui devoit arriver en six jours, parce que cela est reglé ; six journées d’un homme de pied vont toujours pour une de Pigeon ; je ne sai par quel accident, demeura deux jours davantage sur le chemin avec ses Lettres, tellement qu’on ne l’attendoit presque plus : à la fin néanmoins il arriva, & comme j’avois été présent à tout ceci, je voulus, par curiosité, sçavoir à fond cette Histoire, & voici ce que j’en ai appris. Ils ont partout des colombiers exprès : or celui du Caire étoit dans le Château où demeure le Bacha. Ces colombiers sont sous la conduite de quelques hommes qui en ont soin, & qui y nourrissent plusieurs couples de Pigeons mâles & femelles appariés depuis quelques mois ; mais de tems en tems ils les séparent, & retenant les femelles dans le colombier, ils envoyent les mâles dans des cages deçà & delà, en plusieurs Villes, d’où ils peuvent espérer quelquefois des nouvelles, ou avec lesquelles ils sont en correspondance ; & là, ils sont conservés par ceux qui en ont soin ; & quand les affaires obligent de donner quelque avis au Caire, ou en quelque autre Ville, on prend un de ces Pigeons mâles désappariés, parce que l’homme qui les gouverne connoît fort bien quel est celui du colombier du Caire, & quel est celui du colombier d’une autre Ville où il faut porter la nouvelle ; & ayant écrit succinctement le sujet de cette Ambassade sur un petit morceau de papier, on le plie adroitement, & pour se précautionner contre la pluye, ou les autres eaux qui pourroient ruiner leurs desseins, ils le couvrent de cire, le lient ensuite sous l’aile du Pigeon, & le matin suivant, après lui avoir donné du grain tout son saoul de peur qu’il ne s’arrête ailleurs, ils le lâchent, & le Pigeon s’en va droit au colombier où est sa femelle. Or, comme on l’a déja dit, il fait en un jour le trajet qu’un homme de pied ne sçauroit faire qu’en six, & ne se repose jamais. Si le chemin est plus long, il se repose lorsque les forces lui manquent ; mais enfin il va toujours & ne manque point d’arriver à point nommé dans cet espace de tems. Étant parvenu au colombier, celui qui en a soin & qui le visite souvent, reconnoîit le Pigeon d’abord ; & l’ayant pris à quelque heure qu’il le trouve, sans oser le visiter davantage, il le porte immediatement au Bacha, ou au Gouverneur de la ville qui y sera, ou à celui qui commande dans le lieu lequel coupe le filet, lit le papier & donne ordre que le Pigeon soit remis dans le colombier jusqu’à ce qu’on le renvoye dehors une autre fois, afin que dans une semblable occasion, il puisse raporter des nouvelles .

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