Les fourmis font leurs nids ou leurs loges au milieu des champs & sur les collines. Ces habitations qu’elles composent avec un art admirable sont quelquefois de la hauteur d’un homme. Elles se bâtissent aussi de grands nids sur des arbres fort élevés & souvent elles viennent de ces lieux dans les forts Hollandois en si grand nombre, qu’elles mettent les Facteurs dans la nécessité de quitter leurs lits. Leur voracité est surprenante. Il n’y a point d’Animal qui puisse s’en défendre, elles ont souvent dévoré des Moutons & des Chevres. Bosman rapporte que dans l’espace d’une nuit elles lui ont mangé un Mouton avec tant de propreté que le plus habile Anatomiste n’en auroit pas fait un si beau Squelette ; un poulet n’est pour elles que l’amusement d’une heure ou deux.
Les fourmis sont de plusieurs sortes, grandes, petites, blanches, noires & rouges. L’aiguillon de ces dernieres cause une inflammation très-violente & très-douloureuse. Les blanches sont aussi transparentes que le verre & mordent avec tant de force, que dans l’espace d’une nuit elles s’ouvrent le passage dans un coffre de bois fort épais en y faisant autant de trous que s’il avoit été percé d’une décharge de petit plomb. Aux environs d’Acra leur nombre est prodigieux : elles y font des nids de dix ou douze pieds de haut. La forme en est pyramidale & la composition si ferme & si solide qu’il n’est pas aisé de les détruire ; on y est étonné, en les démolissant, de la variété des loges & des divisions qu’on y découvre. Les unes sont remplies de provisions, quelques-unes d’excremens, & d’autres servent uniquement d’habitations. Smith dit qu’elles bâtissent leurs nids en élevant de petits monts de la hauteur de sept ou huit pieds ; mais si pleins de trous qu’on les prendroit pour des gauffres de miel. La circonférence de ces édifices est petite à proportion de leur hauteur. Le sommet est si pointu que le moindre vent paroît capable de l’abbatre. Un jour l’Auteur entreprit d’en briser un avec sa canne, & aussi-tôt des milliers de Fourmis coururent à la porte de son logis. Il prit le parti de la fuite, se souvenant que ces insectes avoient souvent attaqué des poules & quelquefois des moutons avec tant de succès que dans l’espace d’une nuit, elles n’y avoient laissé que les os. Il ajoute sur sa propre experience que la morsure d’une Fourmi noire cause des douleurs inexprimables, quoiqu’elle n’ait pas d’autre chef dangeureux.
On distingue aisément à la tête de leurs bataillons trente ou quarante guides qui surpassent les autres en grosseur & qui dirigent leur marche. Leurs exécutions se font ordinairement la nuit, elles visitent souvent les Européens dans leurs lits & les forcent de se mettre à couvert dans quelque autre lieu. S’il oublient derriere eux quelques provisions de bouche, ils doivent être sûrs que tout sera dévoré avant le jour. L’armée des Fourmis se retire avec beaucoup d’ordre & toujours chargée de quelque butin.
Pendant le séjour que l’Auteur fit au Cap un grand corps de Fourmis vint au Château. Il étoit presque jour lorsque l’avant-garde entra dans la Chapelle où quelques domestiques Negres étoient endormis sur le plancher. Ils furent reveillés à leur arrivée & l’Auteur s’étant levé au bruit, eut peine à revenir de son étonnement. L’arriere-garde étoit encore à la distance d’un quart de mille. Après avoir tenu conseil sur cet incident on prit le parti de mettre une longue traînée de poudre sur le sentier que les Fourmis avoient tracé & dans tous les endroits où elles commençoient à se disperser, on en fit sauter ainsi plusieurs millions qui étoient déja dans la Chapelle. L’arriere-garde ayant reconnu le danger, tourna tout d’un coup & regagna directement ses habitations.
Si les Fourmis n’ont point un langage, comme les Negres & plusieurs Européens se le sont imaginés ; on ne peut douter, ajoute l’Auteur, qu’elles n’ayent quelque maniere de se communiquer leurs intentions. Il s’en convainquit par l’expérience suivante. Ayant découvert, à quelque distance des nids, quatre Fourmis qui paroissoient être à la chasse, il tua un Cockroach & le jetta sur le chemin. Elles passerent quelques momens à reconnoître si c’étoit une proye qui leur convîint. Ensuite une d’entr’elles se détacha pour porter l’avis à leur habitation, tandis que les autres demeurerent à faire la garde autour du corps mort. Bien-tôt l’Auteur fut surpris d’en voir paroître un grand nombre qui vinrent droit au corps, & qui ne tarderent point à l’entraîner. Dans d’autres occasions où il prit plaisir à renouveller la même expérience ; il observa que si le premier détachement ne suffisoit pas pour la pesanteur du fardeau, les Fourmis renvoyoient un second messager qui revenoit avec un renfort .