Il n’est pas possible de concevoir que les Animaux ou les Bêtes ne soient que de simples machines, ainsi que l’a prétendu Descartes.
Ce systeme a révolté toutes les personnes qui refléchissent, car comment concevoir que des ressorts seuls président à la prévoyance, à l’adresse, à la finesse & aux ruses sur lesquelles plusieurs Animaux donnent aux hommes des leçons ? Comment comprendre que les ressorts font qu’un Chien distingue son Maître entre plusieurs personnes, qu’il ne prend jamais le change, qu’il le caresse, qu’il le défend lorsqu’il est attaqué, qu’il lit dans ses yeux, qu’il reçoit ses leçons & les pratique, qu’il fait sentinelle lorsque ce Maître dort en plein champ ? Allons plus loin. Comment concevoir que ce chien, pure machine, par l’unique effet des ressorts donne tous les signes les plus évidents de l’attachement au point de rester sur la tombe de son Maître, de refuser toute nourriture & de paroître pénétré d’une vive douleur pendant plusieurs jours, quoiqu’il n’en ait fallu qu’un aux enfans du défunt pour se consoler de sa perte.
Je défie à tous les Cartésiens du monde de persuader à quelqu’un & paticuliérement à tous ceux qui ont un Chien dont ils ont lieu d’être satisfaits à cause de son adresse & de son attachement, que leur Chien n’est qu’une machine. Comprenez le ridicule qui en resulteroit pour tout ce que nous sommes qui aimons des Chevaux, des Chiens, des Oiseaux. Représentez-vous un homme qui aimeroit sa montre comme on aime un Chien, & qu’il caresseroit par ce qu’il s’en croiroit aimé au point que quand elle marque midi & une heure, il se persuaderoit que c’est par un sentiment d’amitié pour lui, & avec connoissance de cause qu’elle fait ses mouvemens. Voilà précisement, si l’opinion de Descartes étoit vraie, la folie de tous ceux qui croyent que leurs Chiens leur sont attachés & les aiment avec connoissance, & ce qu’on appelle sentiment.
On voit plusieurs Animaux & entre autres les Chiens se purger par le secours de quelques herbes qu’ils vont chercher. Les Moineaux se purgent aussi & purgent leurs petits avec des araignées ou d’autres insectes. Les Pigeons & beaucoup d’Oiseaux mangent du gravier pour faciliter leur digestion. Ce sont, dit-on, les Cicognes qui ont appris à l’homme l’usage des clysteres.
Le Lecteur sera sans doute bien aise qu’à cette occasion on lui remette sous les yeux cet endroit des Fables de la Fontaine, où ce celébre Poëte a fait voir avec son enjouement inimitable combien le systeme de Descartes sur la nature des Bêtes lui paroissoit absurde.
…… Ne trouvez pas mauvais,
Qu’en ces Fables… j’entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engeante & hardie.
On l’apelle nouvelle. En avez-vous ou non
Oüi parler ? Ils disent donc
Que la Bête est une machine ;
Qu’en elle tout se fait sans choix & par ressorts :
Nul sentiment, point d’ame, en elle tout est corps.
Telle est la Montre qui chemine,
À pas toujours égaux, aveugle & sans dessein,
Ouvrez-la, lisez dans son sein :
Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde.
La premiere y meut la seconde,
Une troisiéme suit, elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens la Bête est toute telle :
L’objet la frappe en un endroit :
Ce lieu frappé s’en va tout droit
Selon nous au voisin en porter la nouvelle ;
Le sens de proche en proche aussi-tôt la reçoit.
L’impression se fait, mais comment se fait-elle ?
Selon eux par necessité,
Sans passion, sans volonté :
L’animal se sent agité
De mouvemens que le vulgaire appelle
Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,
Ou quelque autre de ces états ;
Mais ce n’est point cela ; ne vous y trompez pas.
Qu’est-ce donc ? Une Montre. Et nous ?
C’est autre chose.
Voici de la façon que Descartes l’expose,
Descartes ce mortel dont on eût fait un Dieu
Chez les Payens, & qui tient le milieu,
Entre l’homme & l’esprit, comme entre l’huître & l’homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.
Voici, dis-je, comment raisonne cet Auteur,
Sur tous les Animaux enfans du Créateur,
J’ai le don de penser, & je sais que je pense,
Or vous savez, Iris, de certaine science,
Que quand la Bête penseroit,
La Bête ne réfléchiroit
Sur l’objet, ni sur sa pensée.
Descartes va plus loin, & soutient nettement,
Qu’elle ne pense nullement.
Vous n’êtes point embarrassée
De le croire ? ni moi. Cependant quand aux bois
Le bruit des Cors, celui des voix
N’a donné nul relâche à la fuyante proie,
Qu’en vain elle a mis ses efforts
À confondre & broüiller la voie,
L’animal chargé d’ans, vieux Cerf, & de dix cors,
En suppose un plus jeune, & l’oblige par force,
À présenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnemens pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, & cent stratagèmes
Dignes des plus grands chefs, dignes d’un meilleur sort !
On le déchire après sa mort ;
Ce sont tous ses honneurs suprêmes.
Quand la Perdrix
Voit ses petits
En danger, & n’ayant qu’une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, & va traînant de l’aile,
Attirant le Chasseur & le Chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille,
Et puis quand le Chasseur croit que son Chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, & rit
De l’homme, qui confus, des yeux en vain la suit.
Non loin du Nord il est un monde,
Où l’on sait que les habitans
Vivent ainsi qu’aux premiers tems,
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains : car quant aux Animaux,
Ils y construisent des travaux,
Qui des torrens grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l’un & l’autre rivage.
L’édifice résiste, & dure en son entier ;
Après un lit de bois, est un lit de mortier :
Chaque Castor agit : commune en est la tâche :
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche.
Maint maître d’œuvre y court, & tient haut le bâton.
La République de Platon,
Ne seroit rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hyver élever leurs maisons,
Passent les Étangs sur des ponts,
Fruit de leur art, savant ouvrage ;
Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu’à présent tout leur savoir
Est de passer l’onde à la nage.
Que ces Castors ne soient qu’un corps vuide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire :
Mais voici beaucoup plus : écoutez ce recit,
Que je tiens d’un Roi plein de gloire.
Le défenseur du Nord vous sera mon garant :
Je vais citer un Prince aimé de la Victoire :
Son nom seul est un mur à l’Empire Ottoman :
C’est le Roi Polonois, jamais un Roi ne ment.
Il dit donc que sur sa frontiere
Des animaux entr’eux ont guerre de tout tems :
Le sang qui se transmet des peres aux enfans,
En renouvelle la matiere.
Ces animaux, dit-il, sont germains du Renard.
Jamais la guerre avec tant d’art
Ne s’est faite parmi les hommes,
Non pas même au siécle où nous sommes.
Corps de garde avancé, vedettes, espions,
Embuscades, partis, & mille inventions
D’une pernicieuse & maudite science,
Fille du Styx, & mere des Héros ;
Exercent de ces animaux
Le bon sens & l’expérience.
Pour chanter leurs combats, l’Acheron nous devroit
Rendre Homère. Ah s’il le rendoit,
Et qu’il rendit aussi le Rival d’Épicure !
Que diroit ce dernier sur ces exemples-ci ?
Ce que j’ai déja dit, qu’aux Bêtes la nature
Peut par ses seuls ressorts opérer tout ceci ;
Que la mémoire est corporelle ;
Et que pour en venir aux exemples divers
Que j’ai mis au jour dans ces vers,
L’animal n’a besoin que d’elle.
L’objet lorsqu’il revient, va dans son magasin.
Chercher par le même chemin
L’image auparavant tracée,
Qui sur les mêmes pas revient pareillement,
Sans le secours de la pensée,
Causer un même événement.
Nous agissons tout autrement.
La volonté nous détermine,
Non l’objet : ni l’instinct. Je parle, je chemine :
Je sens en moi certain agent :
Tout obéit dans ma machine
À ce principe intelligent.
Il est distinct du corps, se conçoit nettement,
Se conçoit mieux que le corps même.
De tous nos mouvemens c’est l’arbitre suprême.
Mais comment le corps l’entend-il ?
C’est-là le point : je vois l’outil
Obéir à la main : mais la main, qui la guide ?
Eh qui guide les Cieux, & leur course rapide ?
Quelqu’Ange est attaché peut-être à ces grands corps.
Un Esprit vit en nous, & meut tous nos ressorts :
L’impression se fait, le moyen, je l’ignore.
On ne l’apprend qu’au sein de la Divinité,
Et s’il faut en parler avec sincérité,
Descartes l’ignoroit encore.
Nous & lui, là-dessus, nous sommes tous égaux.
Ce que je sais, Iris, c’est qu’en ces animaux
Dont je viens de citer l’exemple,
Cet Esprit n’agit pas, l’homme seul est son temple.
Aussi faut-il donner à l’animal un point,
Que la plante après tout n’a point.
Cependant la plante respire :
Mais que répondra-t’on à ce que je vais dire ?
Deux Rats cherchoient leur vie, ils trouverent un œuf.
Le diné suffisoit à gens de cette espéce,
Il n’étoit pas besoin qu’ils trouvassent un Bœuf.
Pleins d’appétit & d’allégresse,
Ils alloient de leur œuf manger chacun sa part ;
Quand un Quidam parut. C’étoit maître Renard :
Rencontre incommode & fâcheuse.
Car comment sauver l’œuf ? Le bien empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner ;
C’étoit chose impossible, autant que hazardeuse.
Nécessité l’ingénieuse
Leur fournit une invention.
Comme ils pouvoient gagner leur habitation,
L’écornifleur étant à demi quart de lieue ;
L’un se mit sur le dos, prit l’œuf entre ses bras.
Puis, malgré quelques heurts & quelques mauvais pas,
L’autre le traîna par la queue.
Qu’on m’aille soûtenir, après un tel recit,
Que les Bêtes n’ont point d’esprit.
Pour moi, si j’en étois le maître,
Je leur en donnerois aussi bien qu’aux enfans.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu’un peut donc penser, ne se pouvant connoître.
Par un exemple tout égal,
J’attribuerois à l’animal,
Non point une raison selon notre maniere :
Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort .