CHAPITRE VIII. Sur le Chant des Oiseaux.

Avec un peu d’attention on peut démêler la signification des expressions vocales de bien des oiseaux, & que nous nous imaginons être un chant. Prenons pour exemple le Serin. Quand il voit que sa femelle néglige de couver ses œufs & s’absente du nid trop long-tems, écoutez son discours : il lui dit surement alors qu’il est inquiet, qu’il faut qu’elle aille à ses œufs, & si elle n’obéit il est prêt à la vouloir battre. Lorsque la femelle obligée de tenir chaudement ses petits sous elle, n’a pas le tems d’aller manger, & que le mâle lui dégorge de la nourriture dans le bec, elle lui témoigne sa satisfaction par le battement de ses ailes, & par un petit cri différent de tous les autres qui doit nécessairement signifier, « Je suis bien aise, vous me faites plaisir. »

Il y a surtout deux circonstances où le Serin ainsi que le Rossignol, le Pinson, la Fauvette & tous les oiseaux parlent, ou si on veut chantent plus qu’à l’ordinaire. C’est lorsqu’il appelle une femelle, tandis qu’elle couve ses œufs ou ses petits. Quoique dans ces deux circonstances ses sons paroissent les mêmes, on peut cependant remarquer, outre les différences que nous n’appercevons pas, que dans la premiere, le chant est plus vif, plus animé, & accompagné d’autres. Eh, que peut-il signifier alors, si ce n’est : « Je desire que vous soyez ma femelle ? Venez avec moi, nous ferons menage ensemble. »

Dans la seconde circonstance, le Serin & le Rossignol disent toute autre chose. Ce qui les fait chanter alors, c’est le besoin de rassurer la femelle trop occupée pour songer à sa sûreté. Le mari veille pour elle perché sur une branche voisine, d’où il observe tout ce qui se passe pour avertir sa femme, s’il survient quelque juste sujet de crainte. S’il cessoit quelque tems de chanter, la femelle inquiéte quitteroit son nid. Tandis qu’il chante, elle y reste tranquille ; mais croire que le Rossignol chante alors pour chanter, c’est un préjugé qui n’a nulle ressemblance, puisque les oiseaux n’ont nulle idée de ce que nous appellons chant, ni aucun sentiment d’harmonie, quoiqu’il nous ait plû d’appeller chant leur langage. Quand même on voudroit croire qu’il chante, il faudroit toujours supposer qu’il chante des paroles, je veux dire que son chant signifie quelque chose. Et que peut-il vouloir exprimer alors si ce n’est de dire à sa femme : « Soyez tranquille, je veille pour vous, vous n’avez rien à craindre, je vous avertirai, s’il arrive quelque chose »  ? Voilà ce que disent tous les oiseaux & ce qu’ils repetent tous les jours en pareille circonstance. Le Moineau plus laconique dans son style le dit en une phrase fort courte, mais qu’il repete continuellement. La phrase du Pinson est un peu plus longue. Celle du Serin l’est encore davantage. Celle de la Fauvette encore plus, & enfin celle du Rossignol est la plus longue de toutes. Car dans toute la suite de son chant, il est sensible qu’il n’en dit pas plus que le Moineau.

Il y a d’autres Animaux qui forment des sons qui sont à la vérité trop délicats pour nos oreilles, mais qui n’en sont pas moins entendus par ceux de leur espéce. Car il faut observer que l’oreille de l’homme est extrémement grossiere, & que c’est l’effet d’une sage Providence. En effet si notre oreille étoit sensible aux plus petites vibrations de l’air dans lequel nous vivons, nous serions continuellement étourdis de mille bruits confus qui ne nous permettroient pas d’en distinguer aucun. Il y a donc certainement dans l’air beaucoup de sons que nous n’entendons pas : tel est le bruit que fait un Ver à soye en grugeant une feuille de meurier. S’il est seul, ou s’il n’y en a que cinq ou six, personne ne les entend ; mettez-en une certaine quantité dans un cabinet & alors tous ces petits bruits rassemblés à l’unisson sont très-sensibles à nos oreilles. Les Reptiles & les Insectes sont dans ce cas ; cependant il y a plusieurs espéces de Reptiles qui ont des expressions vocales très-sensibles, comme les Serpens, les Grenouilles, les Crapaux. Les autres Insectes n’ont pas à proprement parler une expression vocale que nous connoissions ; ils n’ont qu’un cri, comme le Grillot, la Cigale, les Papillons, les Mouches ; mais il n’est pas douteux que le cri du Grillot, par exemple, & de la Cigale ne leur serve à s’appeller pour se joindre ensemble ; de même on peut croire que le bourdonnement des Mouches leur sert à se reconnoître dans chaque société, soit par l’uniformité & l’unisson du ton, soit par des différences imperceptibles que nous ne sentons pas, ce qui fait l’équivalent de l’expression vocale. Or ce que la Nature a fait pour quelques Insectes, elle l’a surement fait pour tous.

Il y a par exemple, une espéce d’Araignées qui ont une façon toute particuliere de se témoigner l’une à l’autre le desir qu’elles ont de se rapprocher. Il est vrai, dit l’Auteur du langage des Bêtes, que je n’en ai jamais été que témoin auriculaire ; mais on m’a assuré que c’étoient des Araignées qui faisoient le bruit dont je veux parler. Une Araignée qui veut avoir compagnie frappe je ne sçai avec quel instrument sur le mur ou sur le bois où elle s’est établie neuf ou dix petits coups à peu près semblables aux battemens d’une montre ; mais un peu plus forts & plus serrés, après quoi elle attend qu’on lui réponde. Si elle n’entend point de réponse, elle recommence d’intervalle en intervalle pendant environ une heure ou deux, reprenant cet exercice & se reposant alternativement le jour, comme la nuit. Au bout de deux ou trois jours si elle n’entend rien, elle change de demeure jusqu’à ce qu’elle ait trouvé quelqu’un qui lui réponde. C’est une autre Araignée qui lui répond precisement de la même maniere, & comme par écho. Si la proposition plaît, la conversation s’anime & les battemens deviennent plus fréquens. Prêtez-y l’oreille, & vous jugez par le bruit, que peu à peu l’une s’approche de l’autre & que les battemens se joignent enfin de si près qu’ils se confondent les uns dans les autres, après quoi vous n’entendez plus rien. Je me suis quelquefois amusé à faire ainsi l’écho d’une Araignée, que j’entendois battre & dont j’imitois le bruit, elle me répondoit fidélement ; elle m’attaquoit même quelquefois de conversation, & j’en ai souvent donné le plaisir à diverses personnes à qui je disois que c’étoit un esprit familier.

Or je suis persuadé que si nos organes étoient assez délicats pour sentir & appercevoir leurs mouvemens & leurs mines, ou ce qui leur tient lieu de voix, nous trouverions dans les Fourmis, dans les Vers, les Chenilles, en un mot dans tous les Insectes un langage établi pour leurs besoins & pour leur conservation, & comme il y a quelques espéces d’Insectes en qui nous remarquons plus d’industrie & de connoissance que dans de grands Animaux, il est à croire que ces espéces ont aussi un langage plus parfait à proportion, quoique toujours borné aux besoins de la vie.

Share on Twitter Share on Facebook