Chapitre VII. Chasse des Éléphans.

Les trois chasses d’Éléphant ausquelles le Roi de Siam invita l’Abbé de Choisi & le P. Tachard sont dignes d’être connues du Lecteur. Nous avons été ce matin, dit l’Abbé de Choisi, à la chasse des Éléphans. C’est un plaisir véritablement Royal. La grande enceinte est de plus de vingt lieues de tour. Il y a deux rangs de feux allumés toute la nuit, & à chaque feu de dix pas en dix pas deux hommes avec des piques. On voit de tems en tems de gros Éléphans de guerre & de petites piéces de canon. Des hommes armés entrent dans l’enceinte, & font le tricquetrac, peu à peu on gagne du terrein & l’enceinte se retrécit. Le feu, le canon, & les Éléphans avancent jusqu’à ce qu’on puisse approcher les Éléphans sauvages assez près pour leur jetter des lacets où ils se prennent les jambes. Quand il y en a quelqu’un de pris, les Éléphans de guerre qui sont stilés à cela se mettent à leurs côtés, & leur donnent de bons coups de défenses s’ils font les méchans, sans pourtant les blesser, d’autres les poussent par derriere. Des hommes leur mettent des cordes de tous les côtés, montent dessus, & les conduisent à un poteau, où ils demeurent attachés jusqu’à ce qu’ils soient comme des moutons. Nous en avons vu prendre une vingtaine. Le Roi étoit monté sur un Éléphant de guerre, & donnoit les ordres. Ce Roi avoit alors deux mille Éléphans de guerre, & quarante-cinq milles hommes en faction .

À un quart de lieue de Louve, écrit le P. Tachard, il y a une espece d’amphitéâtre dont la figure est d’un grand carré long, entouré de hautes murailles terrassées sur lesquelles se placent les Spectateurs. Le long de ces murailles en dedans regne une palissade de gros pilliers fichés en terre à deux pieds l’un de l’autre, derriere lesquels les Chasseurs se retirent lorsqu’ils sont poursuivis par les Éléphans irrités. On a pratiqué une fort grande ouverture vers la campagne, & vis-à-vis du côté de la Ville, on en a fait une plus petite qui conduit dans une allée étroite par où un Éléphant peut passer à peine, & cette allée aboutit à une maniere de grande remise, où l’on acheve de le dompter.

Lorsque le jour destiné à cette chasse est venu, les Chasseurs entrent dans le bois montés sur des Éléphans femelles qu’on a dressées à cet exercice, & se couvrent de feuilles afin de n’être pas vûs par les Éléphans sauvages. Quand ils sont avancés dans la forêt & qu’ils jugent qu’il peut y en avoir aux environs, ils font jetter aux femelles certains cris propres à attirer les mâles, qui répondent aussitôt par des hurlements affreux ; alors les Chasseurs se sentant à une juste distance retournent sur leurs pas & menent doucement les femelles du côté de l’amphitéâtre où les Éléphans sauvages ne manquent jamais de les suivre. Celui que nous vîmes dompter y entra avec elles, & dès qu’il y fut, on ferma la barriere. Les femelles continuèrent leur chemin au travers de l’amphithéâtre, & enfilèrent queue à queue la petite allée qui étoit à l’autre bout. L’Éléphant qui les avoit suivies jusques-là, s’étant arrêté à l’entrée du défilé, on se servit de toutes sortes de moyens pour l’y engager : on fit crier les femelles qui étoient au-delà de l’allée : quelques Siamois l’irriterent en frappant des mains & criant plusieurs fois Past, Past : d’autres avec de longues perches armées de pointes le harceloient, & quand ils en étoient poursuivis ils se retiroient derriere la palissade, enfin il s’attacha à l’un d’eux qui demeura exprès, & qui se jetta dans l’allée. L’Éléphant courut après lui ; mais dès qu’il y fut entré, on laissa tomber à propos deux coulisses, l’une devant, l’autre derriere. L’Animal ne pouvant ni avancer ni reculer, ni se retourner fit des efforts surprenans, en poussant des cris terribles. On tâcha de l’adoucir en lui jettant des seaux d’eau sur le corps, en le frottant avec des feuilles, en lui versant de l’huile sur les oreilles, & on fit venir auprès de lui des Éléphans mâles & femelles qui le caressoient avec leurs trompes. Cependant on lui attachoit des cordes par dessous le ventre & aux pieds de derriere afin de le tirer de là. On fit venir un Éléphant privé de ceux qui ont coutume d’instruire les nouveaux venus. Un Officier étoit monté dessus qui le faisoit avancer & reculer pour montrer à l’Éléphant sauvage qu’il n’avoit rien à craindre, & qu’il pouvoit sortir ; en effet on lui ouvrit la porte & il suivit l’autre jusqu’au bout de l’allée. Dès qu’il y fut, on mit à ses côtes deux Éléphans que l’on attacha avec lui. Un autre marchoit devant, & le tiroit avec une corde dans le chemin qu’on lui vouloit faire prendre, pendant qu’un quatriéme le faisoit avancer avec un grand coup de tête qu’il lui donnoit par derrière, jusqu’à une espece de remise, où on l’attacha à un gros pillier fait exprès, qui tourne comme un cabestan de Navire. On le laissa là jusqu’au lendemain pour lui faire passer sa colere. Mais le jour suivant il commença à aller avec les autres, & au bout de quinze jours il fut entiérement apprivoisé.

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