Un Voyageur de la Chine (Isbrandides) étant à Pekchin vit l’écurie des Éléphans de l’Empereur. Le Gouverneur de l’écurie leur fit faire plusieurs tours en présence de l’Ambassadeur du Czar, tels que de rugir comme les tigres, de mugir comme les taureaux, de hennir comme le cheval, & d’imiter le chant des oiseaux de Canarie. Ils contrefirent jusqu’au son de la trompette. Ensuite le Gouverneur les obligea de rendre leurs respects à l’Ambassadeur les quatre genoux en terre, de se coucher d’abord sur un côté, puis sur l’autre, & de se relever. Ils faisoient cet espece d’exercice sur un ordre simple. Pour se coucher ils commençoient par étendre les jambes de devant & celles de derriere, après quoi ils se reposoient à terre sur le ventre. Tous ces Éléphans étoient d’une grosseur extraordinaire. Quelques-uns avoient les dents longues de six pieds. Le Roi de Siam en avoit fait présent à l’Empereur de la Chine, & tous les ans il lui en envoyoit quelqu’un à titre de tribut.
Le long du Senegal & dans le Pays des Negres les Éléphans y marchent en troupe comme les Sangliers à Venise, mais il ne peuvent jamais être apprivoisés comme dans les autres Pays. L’Éléphant n’a que deux dents de l’espece de celles qu’on apporte en Europe ; elles sont à la mâchoire inférieure comme au Sanglier, avec la seule différence que celles du Sanglier tournent la pointe en haut, & que celles de l’Éléphant la tournent en bas. On n’apperçoit jamais leurs grandes dents avant leur mort. Quelque Sauvages qu’ils soient, ils ne font aucun mal lorsqu’ils ne sont point attaqués : mais si quelqu’un les irrite, ils se défendent avec leur trompe que la nature leur a donnée à la place du nez, & qui est d’une excessive longueur, ils l’étendent & la resserrent à leur gré. S’ils saisissent un homme avec cette redoutable machine, ils le jettent presqu’aussi loin qu’on jette une pierre avec la fronde. C’est en vain qu’on croit s’échapper par la fuite. Ils sont d’une vîtesse surprenante : les plus jeunes sont ordinairement les plus dangeureux. La portée des femelles est de trois ou quatre petits à la fois : ils se nourissent de feuilles d’arbres & de fruits qu’ils attirent jusqu’à leur bouche avec le secours de la trompe.
Lorsqu’ils sont couchés dans la fange pour s’y rafraîchir, ils ne jettent pas les yeux sur les passans, & l’on n’a pas d’exemple qu’ils ayent jamais attaqué personne, à moins qu’on ne fasse feu sur eux, & qu’on ne les irrite par quelque blessure ; car ils deviennent alors des ennemis si dangeureux qu’il est fort difficile de leur échapper ; mais si l’on parvient à les effrayer assez pour leur faire prendre le parti de se retirer, ils le font avec beaucoup de lenteur : ils regardent fixement ceux qui troublent leur repos, & jettant deux ou trois cris, ils continuent leur marche. Quelques Matelots François remontant une petite riviere dans le Pays des Negres, virent un Éléphant si embarrassé dans la fange, qu’ils se promirent d’en faire aisément leur proye : comme ils ne pouvoient s’en approcher assez pour le tuer, leurs balles ne servirent qu’à le mettre en fureur. Ne pouvant aussi s’avancer vers eux, il n’eut pas d’autre moyen pour se venger que de remplir sa trompe d’eau bourbeuse, & de leur en lancer une si grosse pluye qu’elle faillit de les abîmer dans leur barque : ils furent contraints de se retirer, & la marée qui revint bientôt, mit l’Éléphant en état de regagner la rive à la nage .