Chapitre V. Naturel de l’Éléphant.

L’Éléphant est d’un naturel fort doux, & peu inquiet pour sa sureté, parce qu’il se repose sur sa force. S’il ne craint rien, il ne cherche pas non plus à nuire. Il s’approche des maisons sans y causer aucun désordre. Il ne fait aucune attention aux hommes qu’il rencontre. Quelquefois il enleve un homme avec sa trompe, & le tient suspendu pendant quelques momens ; mais c’est pour le remettre tranquillement à terre. Il aime les rivieres & les lacs surtout vers le tems de midi, pour se désaltérer ou se rafraîchir. Il se met dans l’eau jusqu’au ventre & se lave le reste du corps avec l’eau qu’il prend dans sa trompe. Lopez dit en avoir vû plus de cent dans une seule troupe : ils aiment à marcher en [com]pagnie, & les jeunes surtout vont toujours à la suite des vieux.

Maniere de prendre ou de tuer les Éléphans.

Les Peuples de Bamba n’ont jamais eu l’art d’apprivoiser les Éléphans, mais ils entendent fort bien la maniere de les prendre en vie. Leur méthode est d’ouvrir dans les lieux que ces Animaux fréquentent de larges fosses qui vont en rétrécissant vers le fond, ils les couvrent, de branches d’arbres & de gazon qui cachent fort bien le piége. Lopez vit sur les bords de la Quanza un jeune Éléphant qui étoit tombé dans une de ces tranchées. Les vieux après avoir employé inutilement toute leur force & leur adresse pour le tirer du précipice, remplirent la fosse de terre, comme s’ils eussent mieux aimé le tuer & l’ensevelir que de l’abandonner aux Chasseurs. Ils exécuterent cette opération à la vue d’un grand nombre de Negres qui s’efforcerent en vain de les chasser par le bruit, par la vue de leurs armes, & par des feux qu’ils leur jettoient pour les effrayer.

Merolla raconte les ruses qu’on employe dans le Comté de Sogno pour tuer les Éléphans. Lorsqu’ils paroissent en troupe le Chasseur se frotte tout le corps de leurs excrémens, & rampant jusqu’à eux avec sa lance, il se glisse doucement sous leur ventre jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion d’en frapper sous l’oreille. Aussi-tôt qu’il a donné le coup, il s’éloigne avant que l’Animal ait eu le tems de le reconnoître. L’odeur de la fiente trompe tous les autres qui continuant de marcher, laissent leur compagnon en proye au Chasseur. Si l’Animal blessé dans un endroit si sensible, conserve assez de force pour se défendre, ou pour attaquer même son ennemi, la seule ressource du Chasseur est de se retirer en faisant plusieurs tours, & d’attendre qu’il soit entiérement affoibli par la perte de son sang, qui ne cesse pas de couler jusqu’à sa mort.

Dapper observe que l’Éléphant après avoir été blessé employe toutes sortes de moyens pour tuer son ennemi, & que s’il en vient à bout il ne fait aucune insulte à son corps. Au contraire son premier soin est de creuser la terre de ses dents pour lui faire un tombeau dans lequel il l’étend avec beaucoup d’adresse. Ensuite il le couvre de terre & de feuillages. Mais ceux qui font leur occupation de cette dangeureuse Chasse se cachent fort soigneusement après avoir tiré leur coup, & suivent de loin l’Animal en jugeant de sa foiblesse par sa marche. Ils cherchent l’occasion de lui faire de nouvelles blessures, & lorsqu’ils le croient près de sa fin, ils s’approchent hardiment pour l’achever.

On lit dans le même Auteur que la nature a placé dans la tête de plusieurs Éléphans une sorte de Bezoar de couleur pourpre, à laquelle on attribue des qualités fort salutaires. Merolla nous apprend que les Negres font distiller au Soleil une certaine eau des jambes de l’Éléphant, qu’ils la regardent comme un puissant reméde pour l’asthme, les sciatiques, & les humeurs froides .

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