Chapitre X. De l’adresse des Singes, & de leur attachement les uns pour les autres.

L’Ambassadeur du Czar étant à Pekim, il vint plusieurs Charlatans avec des Singes ausquels on avoit appris des tours fort étranges, & qu’on leur fit faire en présence de l’Ambassadeur. On remplissoit un panier d’habits de toute sorte de couleurs, un Singe les tîroit successivement & s’en revêtoit au simple commandement de son maître sans se tromper jamais sur le choix de la couleur qui lui étoit ordonnée & conformant ses grimaces à l’habit qu’on lui faisoit choisir, ensuite il dansoit à terre ou sur la corde avec des sauts fort réjouissans .

L’avanture qui arriva aux troupes d’Alexandre à l’occasion de ces Animaux est singuliere. Comme elles marchoient toujours en bon ordre, elles se trouverent dans des montagnes où il y avoit beaucoup de Singes & l’on y campa la nuit suivante. Le lendemain quand l’Armée se mit en marche, elle apperçut à quelque distance une quantité prodigieuse de Singes qui s’étoient assemblés & rangés par escadrons. Les Macédoniens qui ne pouvoient rien soupçonner de pareil crurent que c’étoit l’ennemi : on sonna la Bataille, chacun se mit en marche & se disposa au combat : mais Taxile Prince du pays qui s’étoit dejà rendu à Alexandre, lui dit ce que c’étoit que cette Armée prétendue & qu’il lui suffisoit d’avancer pour la mettre en fuite.

Leur attachement les uns pour les autres est peut-être sans exemple dans le reste des Animaux : on en peut juger par ce trait singulier que rapporte le Baron Tavernier. Revenant d’Agra avec le Chef ou Président des Anglois qui retournoit à Surate, nous passâmes, dit-il, à 4 ou 5 lieues d’Amenadab qu’on appelle Mangues, nous y vîmes dans une petite forêt de ces arbres quantité de gros Singes mâles & femelles & plusieurs de celles-ci tenoient leurs petits entre leurs bras. Nous avions chacun notre carosse & le Président Anglois fit arrêter le sien pour me dire qu’il avoit une excellente & curieuse Arquebuse & sachant que je tirois bien, il me pria de l’éprouver sur un de ces Singes. Un de mes valets qui étoit du pays m’ayant fait signe de ne m’y pas hazarder, je tachai de dissuader le Président de son dessein. Mais malgré tout ce que je pus lui dire, il tua d’un coup d’Arquebuse une femelle de Singe qui demeura étendue entre les branches laissant tomber ses petits à terre. Je vis aussi-tôt arriver ce que mon valet avoit prévû. Tous les Singes qui étoient sur les arbres au nombre de plus de soixante, descendirent incontinent en furie & se jetterent sur le carosse du Président qu’ils auroient étranglé sans le prompt secours qu’on y apporta en fermant les portieres, & en mettant tous nos domestiques pour les chasser. Quoiqu’ils ne vinssent point à moi, je ne laissois pas de craindre la fureur de ces Animaux qui étoient gros & puissans, & ils poursuivirent le carosse du Président près d’une lieue, tant ils étoient irrités.

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