Chapitre XI. Des Babouins, espece particuliere de Singes, de leur malice, & de leur adresse quand ils vont au pillage.

Il y a encore une espece de Singe appellé Babouin qui se trouve en grande quantité au Cap de Bonne-Espérance ; c’est l’Animal que les Latins appellent Cercopithecus. Les Babouins sont plus gros que le Singe ordinaire, leur tête ressemble assez à celle d’un chien ; mais leurs traits sont laids. Ils ont le devant du corps fort approchant du corps humain. Leurs dents sont fort grosses & bien tranchantes, leurs pattes sont armées d’ongles & de griffes : celles de devant sont fort semblables à des mains & celles de derriere à des pieds ; tout leur corps est couvert de poil, excepté les fesses qui n’en ont absolument point, aussi sont-elles si pleines de cicatrices & d’égratignures qu’il semble n’y avoir pas même de peau. Ces Animaux sont d’une grande lasciveté. Les mammelles pendent à leurs femelles sur la poitrine entre les jambes de devant. Lorsqu’ils se voyent dans quelque grande détresse, comme lorsqu’ils sont vivement pressés par les chiens ou qu’on les bat, ils soupirent, gémissent, crient & pleurent, comme des hommes épouvantés ou qui souffriroient de grandes douleurs. Ces Animaux aiment passionnément les raisins, les pommes & en général tous les fruits qui croissent dans les jardins. De tems en tems ils y entrent & ils sont assez souvent mal reçus par les chiens, ou par les propriétaires qui les y attrapent, mais sur-tout lorsqu’ils entrent dans une vigne où les raisins sont murs ; ils se remplissent si fort qu’on les attrape & qu’on les tue aisément : leurs dents & leurs griffes les rendent redoutables aux chiens, qui ne les vainquent qu’avec peine, à moins que quelque excès de raisins ne les ait rendus roides & engourdis. On ignore ce que ces Animaux mangent outre ces fruits. Gesner assure qu’ils ont l’adresse de prendre du poisson, qui fait partie de leur nourriture, & qu’ils attaquent & tuent les Élans, les Buffles dont ils mangent la chair. Ce qu’il y a de certain, selon le témoignage oculaire des voyageurs, c’est qu’ils ne mangent ni poisson ni viande si elle n’a été cuite & accommodée de la maniere dont les hommes la mangent & qu’ils avalent fort avidement de la viande ou du poisson bien apprêtés.

S’ils apperçoivent quelque Voyageur dans les champs qui prenne son repas, il faut qu’il soit bien attentif, pour qu’il ne lui enleve pas quelque portion de ses provisions, & lorsque le Singe a pu reussir, il se moque pour ainsi dire du Voyageur qui s’est laissé attraper. Il court à une certaine distance & se retournant tout à coup il s’assied sur son derriere, tient ce qu’il a volé dans ses pattes de devant, & fait comme s’il le tendoit à quelqu’un. C’est tout comme s’il vouloit dire au Voyageur, qu’il n’a qu’à approcher & qu’il lui rendra ce qu’il lui a pris. En même tems il fait des grimaces & des postures si ridicules que l’homme le plus mélancolique ne pourroit s’empêcher de rire. Ces Animaux observent entre eux une certaine discipline & éxecutent tout avec une adresse, une subtilité & une prévoyance admirables. Quand ils pillent un verger, un jardin & une vigne ils font pour l’ordinaire ces expéditions en troupe, partie entre dans l’enclos, tandis qu’une autre partie reste sur le mur, ou palissade en sentinelle, pour avertir de l’approche de quelque danger. Le reste de la troupe est placé au dehors du jardin à une distance médiocre les uns des autres, & forme ainsi une ligne qui tient depuis l’endroit du pillage jusqu’à celui du rendez-vous. Tout étant ainsi disposé, les Babouins qui sont entrés commencent le pillage, & jettent à ceux qui sont sur le mur les melons, les pommes, les poires, &c. À mesure qu’ils les cueillent, ceux qui sont sur le mur jettent ces fruits à ceux qui sont au bas & ainsi de suite tout le long de la ligne qui pour l’ordinaire finit sur quelque montagne. Ils sont si adroits, si alertes, & ils ont la vue si prompte & si juste, que rarement ils laissent tomber ces fruits à terre en se les jettant les uns aux autres. Tout cela se fait dans un profond silence & avec beaucoup de promptitude. Lorsque les sentinelles apperçoivent quelqu’un approcher, elles poussent un cri : à ce signal toute la troupe s’enfuit avec une vîtesse étonnante. Les jeunes qui ne sont pas bien accoutumés au manege, montent sur le dos des plus vieux, où ils se tiennent d’un maniere fort plaisante. On croit qu’ils punissent de mort les sentinelles qui n’ont pas bien fait leur devoir.

Cette idée n’est pas sans fondement, puisque s’il arrive que quelqu’un de la troupe soit pris ou tué, avant que la garde ait donné le signal, on entend un bruit & un tintamare furieux, dès qu’ils se sont retirés sur la montagne où est le lieu du rendez-vous, & assez souvent on en trouve qui ont été mis en piéces. On suppose que ce sont les sentinelles négligentes qui ont été punies. Les Européens du Cap prennent quelquefois de jeunes Singes qu’ils élevent & nourissent avec du lait de chevre ou de brebis. Lorsque ces Singes apprivoisés sont devenus grands, ils font une aussi bonne garde dans la maison pendant la nuit que le meilleur chien qu’il y ait en Europe .

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