Chapitre VIII Diverses especes de Singes grands & petits.

L’abondance des Singes sur la Côte d’Or est incroyable. Smith assure qu’on en distingue plus de cinquante sortes, trop capables de causer une infinité de désordres. Les uns ont la barbe blanche & le corps moucheté, le poil du ventre blanc, une raie brune sur le dos, les pieds blancs & la queue blanche, Cependant tous les Singes du pays peuvent être réduits à deux especes, la premiere de ceux que leur férocité rend incapable de s’apprivoiser. Cette espece multiplie prodigieusement : ils sont en si grand nombre que dans plusieurs cantons, les Negres sont obligés de faire la garde pour se défendre de leurs attaques. En général tous les Singes sont malins & fort portés à l’imitation de tout ce qui se présente devant leurs yeux. Ils sont passionnés pour leurs petits. Jamais on ne les voit tranquilles.

Ceux que les Hollandois appellent Smitten sont d’une prodigieuse grandeur. Bosman en a vu de cinq pieds de long, c’est-à-dire d’aussi grands qu’un homme ; leur laideur, leur hardiesse, leur méchanceté sont incroyables. Un Facteur Anglois assura Bosman que derriere le Fort de Wimba une troupe de Singes se saisit un jour de deux esclaves de la Compagnie, & leur auroit crevé les yeux avec des bâtons qu’ils préparoient dejà, si d’autres Esclaves n’étoient venus à leur secours. Leur couleur est un souris pâle.

Le troisiéme sorte de Singes est d’une beauté singuliere & ils ne sont pas à beaucoup près si grands que les autres. Leur poil est noir & de la longueur du doigt, ils ont la barbe blanche & si longue qu’ils en ont tiré le nom de petits hommes barbus ou de Monkeis, mot Anglois qui signifie petits Moines. Il y en a encore de deux autres sortes qui sont de la même beauté, mais petits, le poil court & mêlé de gris, de noir, de blanc & de rouge, la plûpart ont la poitrine & la barbe blanche.

De la plus petite espéce on en compte plusieurs sortes fort belles, mais si délicates qu’il est impossible de les transporter en Europe.

Tous ces Singes sont naturellement voleurs. Bosman a vu plusieurs fois avec quelle subtilité ils dérobent le millet. Ils en prennent deux ou trois tiges dans chaque main, autant sous les bras, deux ou trois dans la bouche & marchant sur les pieds, ils s’enfuyent avec leur fardeau. S’ils sont poursuivis, ils ne gardent pas ce qu’ils ont dans la bouche & laissent tomber le reste pour se sauver plus légérement. En prenant les tiges, ils examinent soigneusement l’épi, & s’ils n’en sont pas satisfaits ils le jettent pour en choisir un autre. Le prodigieux nombre de Singes qui habitent la Côte d’Or rend les voyages fort dangeureux par terre, ils attaquent un passant lorsqu’ils le voyent seul & le forcent à se refugier dans l’eau, qu’ils craignent beaucoup. L’Auteur assure avoir vu plusieurs exemples de la passion de ces Animaux pour les Femmes. L’espece de Singe qui ressemble parfaitement à l’espece humaine confirme assez la croyance où les voyageurs sont que dans certains cantons les Negres se livrent aux plus grands désordres avec les Singes. Les habitans de Scherbro appellent cette sorte de Singes Boggo & les blancs Mandril. Smith en fait la description : il a véritablement la figure humaine dans toute sa grandeur, on le prendroit pour un homme de la taille moyenne ; ses jambes, ses pieds, ses bras, sont d’une juste proportion ; sa tête est fort grosse, son visage plat & large sans autre poil qu’aux sourcils, il a le nez fort petit, les levres minces, la bouche grande, la peau du visage blanche, mais extremement ridée, ses dents sont larges & fort jaunes, ses mains blanches & unies, quoique le reste du corps soit couvert d’un poil aussi long que celui de l’Ours. S’il ressent quelque mouvement de colere ou de douleur, il crie comme les enfans. On prétend que les mâles de cette espece se saisissent des femmes lorsqu’ils les trouvent à l’écart, & que leur passion les porte aux dernieres violences .

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